P&P n°248 : Ensemble repenser l’autisme (fév 2017)
Description
Les différentes communications des organismes tutélaires de santé confirment que l’autisme est un enjeu important de santé publique et ce thème fait l’objet de nombreux débats aussi bien en ce qui concerne le diagnostic, l’étiologie que les différentes modalités de soin.
Il est encore difficile par ailleurs de dégager une formulation théorique de l’autisme qui pourrait à la fois en donner la définition, expliquer le fonctionnement, prévoir l’évolution et décrire toutes les manifestations comportementales.
D’importantes évolutions ont eu lieu ces dernières années et il est demandé aux professionnels d’intégrer dans leur pratique certains éléments plus spécifiquement que d’autres, ce qui n’est pas sans susciter de nouvelles questions et difficultés.
Aucune des hypothèses ne semble prendre en compte tous les signes rencontrés, ce qui est un argument de plus en faveur d’une hétérogénéité des étiologies. Étant donné la précocité des symptômes, chacun des déficits initiaux apporte sa résonance au niveau de l’expérience individuelle des personnes et peut entraîner une cascade d’autres troubles sur les plans cognitif, affectif ou relationnel. On note une grande hétérogénéité et le pronostic d’évolution des sujets est lui aussi très variable.
Quelle que soit l’origine de l’autisme il n’en reste pas moins que la subjectivité du patient doit être prise en compte dans la proposition de soins.
Toutes les approches peuvent sans doute apporter des éléments intéressants dans la prise en soin des patients autistes et de leur famille. Il ne s’agit pas d’un savoir figé et il est dommage- et sans doute dommageable- de faire l’économie des apports des autres disciplines dans la compréhension de l’autisme.
Quels choix constitueraient un objectif plus intéressant, pour tous, professionnels et personnes autistes:
– Refuser de réduire l’autisme à la seule dimension déficitaire et sa prise en charge, à la seule approche rééducative, et promouvoir la place des personnes autistes dans la société sans se référer à une norme
sociale ou comportementale ?
– Travailler à la possibilité d’offrir aux familles un choix éclairé parmi des options diverses, dans le respect des orientations de prise en charge différentes, en privilégiant les parcours fondés sur l’articulation de toutes les dimensions éducative/thérapeutique/ pédagogique ?
Les professionnels, quelles que soient leurs références théoriques, ne doivent pas se déconnecter de la réalité des autistes qu’ils accompagnent ; il est essentiel qu’ils restent ouverts à de nouvelles pratiques, s’intéressent aux outils cognitifs qui sont employés maintenant dans les structures de soin, quand ils ont montré leur efficacité.
Une approche psychodynamique du développement et de la construction psychique n’implique pas de nier l’ancrage corporel dans les investissements psychiques et relationnels des enfants autistes, ni de se priver d’outil cognitif, par exemple ceux conçus pour structurer le temps et les représentations, pour établir des correspondances diverses entre objet réel et représentation imagée (photos, pictogrammes) et bien d’autres notions essentielles à la communication.
La prévalence des approches dites conformes aux recommandations dans les institutions, la coexistence de pratiques diverses et de modèles d’explication dont certains frisent le farfelu dans les espaces de communication, réseaux sociaux…
l’augmentation du nombre d’associations, à l’initiative de parents et/ou de professionnels, et les batailles de représentativité entre elles : tout ceci contribue à une atmosphère de suspicion et de rivalité délétères.
La diversité et la complexité de l’autisme peuvent justifier différentes approches. Au lieu de cela, dans ce contexte si particulier nombre de cliniciens travaillent dans l’empêchement, éprouvent des difficultés à parler de leur clinique.
Dans ce climat on observe une souffrance au travail accrue chez les psychologues, des difficultés à écrire sur leur pratique alors que nos outils en matière de psychothérapie (y compris ceux issus de la psychanalyse) fonctionnent, que la psychologie est une science humaine établie sur un modèle différent des autres sciences mais un modèle viable.
Après le premier volet paru en décembre, nous continuons à donner la parole à des collègues exerçant avec des approches différentes. Le comité de rédaction est animé par le souci d’équilibrer des courants dans ce dossier, et donne ainsi au lecteur, tout au moins l’espéronsnous, la possibilité de se faire sa propre opinion et d’aiguiser son esprit critique.
Marie-Josée Cordeau défend l’importance d’avoir un diagnostic pour l’évolution de la personne autiste, nous montrant à travers sa propre histoire les impacts de la non connaissance de son fonctionnement sur la vie quotidienne, l’estime de soi, ainsi que le poids du développement de stratégies pour faire face aux nombreux écueils rencontrés.
Franck Ramus, Directeur de recherches au Cnrs, apporte un éclairage scientifique essentiel concernant la composante génétique de l’autisme et la prévalence de l’autisme.
Ghislain Magerotte, Professeur à l’Université de Mons, décline les activités du psychologue dans le processus du diagnostic et décrit la manière dont l’annonce peut être pensée en prenant en considération la famille et ses réactions.
Ani Dilanian présente une recherche concernant l’évaluation des techniques psychothérapiques à laquelle elle a participé en l’associant à une vignette clinique qui illustre la créativité des patients, l’importance de l’alliance thérapeutique et de l’ajustement du thérapeute, déterminants dans l’évolution du patient.
Alexandra Lecestre, psychologue formée à la méthode Aba, nous décrit la façon dont elle construit son intervention.
Isabelle Millet et Tiziana Zalla, toutes deux chercheurs au Cnrs, traitent de l’état des recherches concernant la capacité de reconnaissance émotionnelle chez les autistes.
Nathalie Vesely présente son travail psychothérapeutique en cabinet libéral avec un très jeune enfant autiste, amenant le lecteur à comprendre comment peu à peu se tisse une relation permettant l’accès au langage, le travail de symbolisation.
Lucie Fayolle et Michèle Benhaïm traitent de la relation que le sujet autiste entretient avec l’Autre à travers le récit d’une prise en charge d’un jeune enfant dans un groupe Conte. Elles interrogent le rôle de l’imitation dans cette clinique spécifique et montrent en quoi le plaisir à imiter et être imité peut initier et soutenir la rencontre.
Solène Ekizian, A Lucero, E Parlato de Oliveira et Marie-Christine Laznik présentent un travail franco-brésilien autour de l’élaboration d’outils communs dans la prise en soin précoce de bébés à risque d’autisme.
Serge Kalicki pose les relations familiales et l’écoute centrée sur le sujet autiste comme vecteur de l’inclusion, convoquant l’intelligence collective et la confiance de tous les acteurs les uns vis-à-vis des autres pour construire un vrai projet d’inclusion.
Christine Gintz met en lumière la difficulté des choix à faire pour les parents et reprend les questions qui l’ont animée. Elle nous démontre que les connaissances actuelles ne permettent pas de privilégier tel ou tel type de prise en charge et que l’intérêt des familles est de rester du côté de l’ouverture afin de faire le choix le plus adapté à leur enfant.
Serge Lesourd se situe dans l’actualité et montre les risques que comporte la demande de trancher par la Loi ce qui concerne les pratiques thérapeutiques. Il développe son propos évoquant ce que la démarche de rejet exclusive et autoritaire a convoqué dans l’Histoire et soutient la complémentarité des approches et l’ouverture à l’Autre.
Nous entrevoyons à travers ces témoignages à quel point il importe de cesser d’alimenter les clivages entre les théories au détriment du dialogue sachant que cela conduit souvent à nous rendre sourds à ce que vivent réellement les autistes que nous accompagnons.
Les recherches comportementalistes, cognitivistes, celles basées sur d’autres approches, construisent
des modèles intéressants. Les professionnels travaillant dans le champ de l’autisme devraient sans doute plus s’impliquer dans les travaux en cours, travailler en équipe, en partenariat avec les autres intervenants (même si ce n’est pas évident lorsqu’on travaille en libéral) pour faire exister et évoluer la pensée… et ne pas s’épuiser.
Il serait sans doute plus judicieux de défendre un système de soins organisé davantage autour de la question des besoins que de la question du diagnostic, d’offrir la possibilité aux familles d’exercer un choix éclairé parmi des options diverses, afin que chacun puisse réellement recevoir une prise en charge adaptée, personnalisée.
Refusons les techniques qui posent des problèmes éthiques et restons ouverts aux propositions d’éclairage divers. Défendons une garantie de la liberté des orientations de recherche, car c’est dans la liberté et la multidisciplinarité que se font les avancées sociales et scientifiques !
Difficile pour les parents, les familles, les professionnels, de s’y retrouver, de garder le cap ! Dans le climat actuel, sortir de la zone de confort en lien avec les recommandations issues des plans de santé publique, oser aller au-delà des pistes conventionnelles, comporte le risque de ne pas être bien compris, voire d’être exclus…
Alors que tant de progrès restent à faire dans l’accompagnement des adolescents et des adultes, quant à l’orientation professionnelle par exemple et que nous avons tous besoin d’une clinique libre d’inventer, de créer.
A nous d’ouvrir des perspectives nouvelles !
Patricia Perrier
Psychologue, membre du comité de rédaction
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