Tract intersyndical
Depuis plusieurs années et encore actuellement, la PJJ comme de nombreux services publics est soumise aux réductions budgétaires et à une réorientation profonde de ses missions. La rentabilisation du temps de travail, la mesure de l’activité au millimètre près, sont les ingrédients d’une « politique du chiffre » appliquée à marche forcée. Au nom de la RGPP hier, de la Modernisation de l’Action Publique aujourd’hui, mais toujours au nom de la réduction des déficits publics, l’administration poursuit une politique aveugle qui conduit à des prises en charge formatées et uniformisées. Les professionnels sont sommés de se transformer en techniciens de l’exécution de mesures judiciaires selon les critères d’évaluation de l’administration. La chaîne hiérarchique, des DS aux RUES, mise sous la pression des contrats d’objectifs, est enjointe de rendre compte en termes de chiffrage, de tableaux de bord et autres protocoles. Chacun doit appliquer ces directives au détriment de la prise en charge des personnes, pourtant non réductibles à des objets quantifiables. La volonté non avouée de l’administration est bien celle d’une mise au pas des agents à laquelle correspond aussi une forme de mise au pas des familles sommées de se plier docilement à la décision judiciaire si bien que le respect du contradictoire tant invoqué par l’administration elle-même, devient lui aussi purement formel.
C’est dans ce contexte qu’il y a plus de deux ans déjà, l’administration attaquait frontalement le temps FIR des psychologues qui constitue une des exigences de leur profession, permet un temps de travail hors institution et une distanciation indispensable à l’exercice de leurs missions. Cette remise en cause du temps FIR, pourtant reconnu depuis 1983 par la circulaire Ezratty, est le signe très inquiétant d’une politique institutionnelle dans laquelle la comptabilisation de l’activité prend le pas sur le sens et la qualité du travail des agents. De fait, la normalisation des procédures de travail de tous les agents, quelque soit leur fonction, vient restreindre un peu plus l’espace pour la pensée au profit d’une accélération toujours plus grande dans un temps toujours plus court des délais et de la durée des prises en charge. La MJIE en est un exemple manifeste.
La suppression du temps consacré à la fonction FIR apparaît comme le paradigme de l’asservissement de tous les professionnels de la PJJ.
Depuis plus de deux ans les psychologues se battent contre cette suppression et ce n’est pas pour conserver un soit disant privilège comme l’administration veut le faire croire avec un discours entretenant la division. Ils résistent pour que ne soit pas définitivement liquidée la place de la parole, de la réflexion, du langage, du temps pour penser et pour dire, au profit d’une vision purement comportementale de l’humain où celui-ci sera bientôt réduit aux seules questions de dangerosité et de récidive. La suppression du temps FIR, participe de la volonté de l’administration d’organiser l’indifférenciation des fonctions et des métiers par une forme de mécanisation des pratiques : plus besoins de professionnels différents lorsque leur travail est réduit au recueil d’information « pertinentes » et à leur communication selon des critères prédéfinis. C’est la complexité d’un être humain, rattaché à une dynamique familiale et un environnement dont il est essentiel de prendre le temps d’analyser les interactions, particulièrement pour les mineurs, dont il est proposé de faire dorénavant l’impasse.
Pour tenir leur positionnement professionnel qui soutient la mise à distance pour soi mais aussi pour l’autre, les psychologues ont besoin d’un temps de travail en dehors du service pour mettre à l’épreuve leur clinique avec d’autres, pour se documenter et actualiser leur connaissance, écrire et alimenter leurs questionnements, tout cela pour mieux prendre place dans l’analyse des situations des jeunes et des familles et dans le travail en pluridisciplinarité dans le service. S’arrêter pour interroger sa pratique, pour relancer une pensée qui est dans l’impasse face aux complexités des situations familiales rencontrées, c’est ce que les psychologues défendent depuis toujours aux côtés des autres professionnels, et encore plus dans cette situation institutionnelle dégradée. Or, les psychologues, pour certains déjà partagés sur plusieurs services et confrontés à la comptabilisation non plus en jeunes mais en mesures, sont plus que jamais sous la pression de la rentabilisation de leur temps de travail qui touche également les autres professionnels.
De ce fait, comment ne pas être inquiets par l’évaluation de la MJIE menée actuellement sur le plan national avec un questionnaire orientée vers une durée générale de 1 à 3 mois ; ou encore de l’expérimentation de l’application de la loi de programmation sur l’exécution des peines de janvier 2012 qui prévoyait la prise en charge dans un délai maximum de cinq jours de tous les jugements et quelques postes supplémentaires pour le faire.
Car si une certaine DIR réfléchit à la faisabilité d’une MJIE d’un mois, tout en ayant la prétention de lui conserver un côté qualitatif, personne ne s’indigne du fait que derrière l’intervention du Service Public, accélérée ou pas, les enfants et les adolescents attendront plusieurs mois avant de pouvoir être suivis dans un service de l’habilité ou de l’ASE. Les professionnels sont en droit d’interroger la cohérence de ces politiques qui deviennent maltraitantes pour le public et les professionnels.
A l’approche d’un CTC fin mai portant sur l’évaluation de la MJIE et sur la nouvelle circulaire sur l’organisation du temps de travail et des activités des psychologues :
– Ensemble mobilisons nous pour défendre la pensée, le temps, le respect de l’humain dans son impossibilité à être maîtrisé, segmenté en approches parcellaires pour mieux l’enfermer dans des écrits de plus en plus rapides.
– Mobilisons nous pour refuser des services uniquement reconnus sur l’adéquation aux normes prescrites, à la bonne gestion des entrées, sorties, à la finalisation de protocoles qui s’empilent et dont la pertinence reste à prouver, où la surveillance et les rendu-compte sont chronophages et tiennent lieu de qualité de travail , où les professionnels se sentent de plus en plus isolés, morcelés dans leur travail sans parvenir à y construire un sens dans la durée.
– L’intersyndicale appelle à retourner massivement les courriers ci-joints à la DPJJ et à renseigner nos propres questionnaires sur la MJIE avant le CTC du 27 mai. Elle appelle les équipes à prendre position collectivement pour défendre le temps FIR des psychologues et pour l’ensemble des professionnels, un travail qui prend le temps de la réflexion au bénéfice des jeunes et des familles.