La CAP de mobilité des psychologues s’ouvre au moment où vont être actés d’inquiétants changements tant pour le ministère de la justice et des libertés que pour notre profession : celle de psychologue.
Depuis des mois, tout est mis en œuvre par l’état pour que la fonction publique y compris dans notre ministère, fasse apparaître une dite « modernisation » via des règlementations, des structures et structurations nouvelles qui sont créées, sans que des évaluations ou bilans de ce qui existait auparavant aient été réalisés.
Au jeu des ricochets, ce sont les plus faibles qui reçoivent toutes les éclaboussures d’une vague nauséabonde, opaque et qui broie tout lorsqu’elle retombe.
Nous sommes depuis peu au XXIe siècle, la société doit évoluer avec son temps, cependant faut-il – et tout particulièrement pour le ministère de la Justice et des Libertés – qu’évolution signifie précipitation, rapidité, excès de vitesse – sinon de pouvoir ?
En traduisant tous les faits divers de la société en nouveaux textes de lois, répondre à l’inquiétude suscitée et orchestrée par cette avalanche de communication sur les dangers qui la menacent partout, tout le temps, va sans doute amplifier plus que réduire l’angoisse de la population qui la subit.
Dans cette politique de l’amplification, de l’art de faire des vagues, la jeunesse est particulièrement touchée, et toute déviance visée par un nouveau texte toujours plus répressif – à charge pour la PJJ de faire exécuter ces orientations même si les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant n’y sont pas toujours respectés.
Nous assistons à la fermeture des services de la PJJ, alors que nous ne trouvons déjà plus de place en hébergement ou en insertion pour les adolescents les plus en difficultés. La transformation annoncée par le Garde des sceaux de 20 EPE en CEF, accélère ce démantèlement.
Nous avons également vu le développement des lieux d’incarcération avec des personnels le plus souvent sans formation, qui entraîne l’insécurité et ses corollaires tant pour les adultes que pour les enfants. La confusion des interventions et le flou des identités professionnelles sapent le travail des équipes éducatives en EPM, qui aujourd’hui se mobilisent. Les psychologues y ressentent les limites du cadre éthique et les impossibilités d’action autonome de ces équipes.
Tout ceci va dans le sens de la réforme de la justice des mineurs présentée en procédure d’urgence au parlement ces jours-ci : la volonté de faire l’économie d’un débat public et d’instrumentaliser la délinquance des mineurs est flagrante. Le rapport Varinard fait ici son grand retour au détour d’un projet de loi visant à introduire des jurés populaires en correctionnelle. Ainsi les mineurs de 13 ans inculpés pour un premier délit pourraient désormais être placés en CEF et les mineurs de 16 ans en état de récidive comparaîtraient devant une juridiction d’exception non-spécialisée mineurs.
Nous qui sommes soumis à des injonctions toujours plus prégnantes du « tout savoir », injonction que l’Etat fait porter aux magistrats, devrions désormais alimenter le Dossier Unique de Personnalité destiné à ce type de procédure rapide. Les MJIE pourraient aussi y contribuer.
Pourtant l’IOE existait à la grande satisfaction de la majorité des magistrats, mais puisqu’il faut que passe la vague de la fermeté, quitte à faire un grand bond en arrière, détruisons-la et créons la MJIE.
Après des heures et jours de travail pour les professionnels sommés de réfléchir avec l’ensemble de la chaîne hiérarchique, dont les psychologues, le ministère est en difficultés pour mettre en œuvre cette réforme comme celle du DAA, faute de moyens mais surtout de pensée.
Le projet de MJIE aura montré entre-temps comment les professionnels sont considérés par notre administration, à quelle place la PJJ entend mettre les psychologues, à quoi elle veut réduire leur travail. Quel sens lorsque est comptabilisée une seule MJIE pour une fratrie de 7 enfants ?
La MJIE aura permis de découvrir comment ces adolescents et leurs familles pourraient devenir des objets de pseudo études scientifiques alors que nous nous efforçons de les faire advenir en tant que sujets singuliers.
Pour cette administration, la présence de psychologues dans les institutions devient la bonne conscience, l’alibi, la pseudo-caution es qualité ! A travers les différentes réformes, que ce soit la MJIE, la composition pénale, les EPM, la place du psychologue devient le prétexte d’une pluridisciplinarité dont les pré-requis sont ignorés.
En même temps on fait disparaître les psychologues des services d’insertion et de placement diversifié, et on réduit leur temps dans les hébergements collectifs. Dans les milieux ouverts on ne peut limiter l’intervention des psychologues au seul nombre d’IOE, mais le temps d’intervention doit être adapté au nombre de mineurs pris en charge. Que signifie un service de milieu ouvert avec 15 éducateurs et un seul psychologue ?
Au bout du compte, lorsqu’il ne restera plus que la logique comptable pour diriger notre service public, que seront devenus les enfants, les adolescents et les adultes qui savaient les accompagner ?
Notre profession ne peut être ni un faux semblant ni du coté de l’avoir : elle est du côté de l’être, des êtres humains. « Avoir » un psychologue ne suffit pas, même si c’est mieux que de n’en avoir point, mais encore faut-il le laisser être psychologue.
Notre profession, même si elle le partage avec d’autres, est du côté de la pensée, d’aider à penser les êtres humains avec lesquels nous tentons d’exercer notre métier. Contribuer à humaniser ce devrait être un des sens du mot justice, et c’est le sens premier du mot Education.
Actuellement, notre exercice professionnel est malmené au sein de la PJJ. Comme pour les adolescents et leurs familles qui nous sont confiés par ordonnance de justice, nous souhaiterions davantage de respect.
La maltraitance institutionnelle qui se traduit, entre autre, par la négation de nos obligations déontologiques, et par le désir d’abolir la fonction FIR, est une des manifestations de l’intolérance à la différence et du désir fou de maîtrise totale.
Etre psychologue, ce n’est pas être éducateur ou assistant de service social. C’est une profession particulière avec des contraintes particulières et des exigences qui font le socle de notre déontologie et de notre éthique. Elles font que pour travailler ensemble, pour réfléchir ensemble avec d’autres, nous avons besoin de faire un pas de côté avec nos pairs ou dans le silence de la solitude pour penser et écrire.
Enfin, une fois de plus, à cette CAP, nous demandons que notre administration réalise combien les professionnels, les psychologues entre autres, sont malmenés, peu respectés et finalement empêchés d’exercer leurs missions par cela même qui devrait les y aider.
Que signifie un psychologue partagé entre 2 ou 3 services parfois distants de plus de 50kms ? Cela n’a pas plus de sens pour nos collègues ASS, adjoints administratifs ou directeurs qui subissent également ce morcellement qui déshumanise les missions.
Au lieu de soutenir le travail fructueux, innovant, que seuls peuvent mener des sujets engagés dans un désir vivant, cette administration multiplie au contraire des méthodes visant à supprimer le sujet pour le remplacer par des protocoles et des programmes, dans une inflation bureaucratique aussi stérile que dangereuse.
En s’opposant à la dimension de pari qui est indispensable et inhérente au sujet humain, à sa liberté d’engager son désir dans une stratégie qui accepte et assume l’imprévisibilité du résultat et la complexité elle-même, cette inflation ne peut qu’empêcher les alertes nécessaires aux vraies adaptations au « Monde qui Vient. » (Cf. E. Morin.)
Nous ne voulons pas faire semblant de travailler mais être soutenus et considérés à la hauteur de notre formation et de nos compétences pour que notre exercice soit garanti – comme celui des autres professionnels – au profit des plus faibles : les enfants, les fous, les pauvres.
Nous déplorons que ce Ministère ait perdu le mot Droit qui reste au cœur de notre déontologie et de nos missions, mais nous espérons que celui de liberté soutiendra le respect de la responsabilité et des professionnels de tous niveaux qui ont conscience d’avoir à protéger et garantir cette mission fondamentale qui devrait rester l’Education et la Protection des mineurs de justice.
C’est la raison pour laquelle les deux syndicats qui siégent à cette CAP ont choisi de faire une déclaration commune qui reflète la mobilisation qui nous réunit et réunit nos adhérents – au delà de nos différences, dans la défense des conditions d’un réel exercice clinique de notre profession à la PJJ.
Pour le S.N.P. Pour le S.N.P.E.S.
Gilles Biot Lysia EDELSTEIN
Marie Josée Nivet Alexia PEYRE
Christine Manuel Céline TINTILLIER