Le rôle des psychologues dans l’évaluation de l’aptitude à la conduite

Intervention de Nathalie Seigneur au colloque FFPP « Psychologie des transports » des 5 et 6 octobre 2018.

 

Le SNP porte un grand intérêt aux travaux de Florent Champy, sociologue au CNRS, spécialiste des professions, autour de ce qu’il appelle « l’exercice prudentiel » dans les professions de soin.

La sagesse pratique, concept aristotélicien, désigne le mode de pensée requis pour conduire des actions dans des situations que leur singularité et leur complexité chargent d’une forte incertitude. Cette sagesse pratique est aussi une vertu, car elle vise à éviter à autrui les dommages qui seraient encourus si l’on méconnaissait cette incertitude. Elle s’oppose notamment à toute application mécanique de règles trop abstraites, de procédures formalisées, de savoirs scientifiques ou de routines. Elle requiert donc notamment une attention particulière aux caractéristiques concrètes de cas ou de situations, afin d’en saisir la complexité et la singularité. Pour Florent Champy la médecine est souvent considérée comme l’activité prudentielle par excellence parce qu’elle compose avec l’individualité des malades et la complexité du corps et du psychisme humains.

 

Comment un professionnel pourrait-il être objectif quand il est confronté à une incertitude telle qu’il ne peut répondre que d’une façon qui comporte une dimension de pari ? Comment peut-il à la fois être toujours plus performant et rester attentif à la complexité des cas dont il a à traiter ?

Pour Florent Champy, la recherche qualitative doit mettre en plein jour – dans d’autres domaines aussi (les risques, la finance ou encore le droit) – ce qui tend à être ignoré par un monde bureaucratique où des médiations formalisantes (indicateurs, règles…) entravent le rapport au concret.

 

Pourquoi est-ce que je vous parle de Florent Champy, de sagesse pratique et d’exercice prudentiel ?

Parce que bien sûr, l’exercice prudentiel c’est ce qui pourrait être la définition même de notre profession. L’attachement à ce qui est la singularité du sujet, c’est le cœur de de notre travail au quotidien et c’est bien souvent ce qui a été une des motivations dans le choix de notre métier.

L’exercice prudentiel est indissociable de ce à quoi nous sommes attachés, qui nous définit, et qu’au SNP nous défendons : l’autonomie professionnelle.

Le combat du SNP pour une instance professionnelle représentative et pour une formation à un niveau doctorat va d’ailleurs dans ce sens.

 

En 2017, nous avons été contacté par le Dr Fegueux (Conseillère technique Santé du Délégué interministériel à la sécurité routière) pour participer à un groupe de travail sur la place des psychologues dans l’évaluation de l’aptitude à la conduite. Ce groupe réunissait la FFPP, des chercheurs en neurosciences de l’IFSTTAR[1], des psychologues pratiquants des examens psychotechniques, des psychologues chercheurs, des représentants des médecins du permis de conduire, un psychologue des armées, un addictologue, un universitaire et bous n’avons pu que nous réjouir d’y avoir été associé.

S’adresser aux principaux intéressés sur les sujets qui les concernent, c’est trop rare pour qu’on ne salue pas la démarche, d’autant plus qu’elle est loin d’être une pratique courante.

Si il est évident que les psychologues sont compétents pour évaluer l’aptitude à la conduite des usagers s’étant vu, pour différentes raisons, retirer leur permis de conduire (compréhension du fonctionnement psychique en lien avec la transgression des règles et la mise en danger de soi sur la route…), le SNP ne peut qu’être satisfait de cette reconnaissance des psychologues comme élément central dans cette évaluation, en tant que syndicat ayant pour mission la reconnaissance de la profession et la défense des professionnel.

Dans ce dispositif, notre vigilance en tant que syndicat, s’est particulièrement portée sur la prise en compte de notre autonomie professionnelle et de son pendant, l’exercice prudentiel.

 

Nous considérons que l’arrêté d’août 2016 relatif à l’examen psychotechnique prend en compte cette dimension à plusieurs niveaux. Il n’a pas toujours été simple d’expliquer que TOUS les psychologues devaient avoir un numéro Adeli, mais le fait que les psychologues soient directement agrées en adressant une simple déclaration aux préfets des départements dans lesquels ils souhaitent exercer est une avancée importante. Les usagers peuvent ainsi s’adresser directement à un psychologue sans passer par des centres agréés. Il en est de même de l’importance donnée à l’entretien individuel, central dans le cadre de l’examen psychotechnique.

 

Cette place centrale – place que nous avons confortée dans nos travaux avec l’IFSTTAR et l’ensemble des participants – relève bien sûr de l’exercice prudentiel auquel nous nous référons.

Nous pouvons cependant regretter que la liste des points à aborder soit à ce point circonscrite et donc contraire à l’autonomie professionnelle des psychologues.

 

Ce groupe de travail a pu penser collectivement aux limites de l’utilisation des tests psychotechniques :

1) le test, au-delà du résultat psychométrique brut qu’il apporte, constitue une mise en situation utilisée par le psychologue pour révéler également des éléments de comportement. Il est un moyen plutôt qu’une finalité ;

2) c’est l’expertise et la compétence du psychologue qui doivent lui permettre (en se basant sur l’ensemble des résultats, des comportements observés et des éléments d’entretien) de prendre une décision et/ou d’émettre un avis ;

3) l’aptitude psychologique ne peut pas et ne doit pas être décrétée par un système expert automatisé.

 

La délégation interministérielle à la sécurité routière aurait souhaité que nous recommandions les tests que devraient utiliser, de manière préférentielle, les psychologues. Or cette recommandation était impossible. Elle se heurte au fait qu’aucun des tests existants ne répond à 100% à ce qu’on attend d’eux, mais aussi à ce qui pourrait être une contrainte imposée à l’autonomie professionnelle du psychologue quant au choix de ses outils. Une telle recommandation s’opposerait de ce fait à l’exercice prudentiel.

Lister les critères attendus par les tests psychotechniques et les champs qu’ils devraient investiguer parait bien plus pertinent.

 

L’arrêté d’août 2016 se conclut sur l’avis que doit donner le psychologue.

À partir des éléments recueillis lors de l’entretien et des tests, le psychologue doit être en mesure de réaliser une analyse croisée des différentes attitudes observées :
1° Face à la situation d’examen (respect des consignes, adaptation face aux situations nouvelles, réactions en cas de difficultés et d’erreurs) ;
2° Lors de la confrontation aux faits.
B. – Ces éléments doivent être rapportés dans le compte rendu d’examen et aboutir à une conclusion :
1° Avis favorable ;
2° Avis favorable avec restriction ;
3° Avis défavorable.

 

Les psychologues ont souvent peur de la responsabilité liée à ce type d’avis : cette question de la responsabilité du psychologue mériterait à elle seule un colloque, car comment revendiquer notre autonomie professionnelle si nous refusons la responsabilité qui va avec ?

 

La question du lien au médecin se pose également, dans ce qui est aussi souvent la crainte des psychologues, la paramédicalisation. Le SNP est forcément sensible à ce problème (cf. les différentes expérimentations en cours) et à un risque éventuel mais il ne nous semble pas qu’il existe dans le cadre de l’examen où il y a plutôt « adresse » du médecin vers le psychologue pour l’examen psychotechnique et retour du psychologue par le biais de l’avis à donner justement. De plus, les usagers peuvent directement s’adresser à un psychologue pour la passation de l’examen psychotechnique, avant de voir le médecin agréé.

 

 

Pour conclure, la place donnée aux psychologues dans l’évaluation de l’aptitude à la conduite semble être plutôt un modèle à réfléchir concernant de manière plus large la place du psychologue dans différents dispositifs qui doivent respecter notre autonomie professionnelle qui ne peut se décliner que dans le cadre d’un exercice prudentiel.

 


[1] Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux.

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