Sans déroger de sa détermination, malgré les protestations multiples de la profession, le gouvernement a lancé, à grand fracas publicitaires, son dispositif MonPsy. Il a présenté celui-ci comme un bénéfice pour la population, comme une avancée notable dans la prise en charge de la population. Il a annoncé le recrutement de psychologues volontaires laissant penser à une masse avide.
La dénonciation du leurre que représente ce dispositif est à soutenir.
Une belle rhétorique enrobant la réalité, la distordant, la détournant. Ce dispositif qui ne concernera que 0, 5 % de la population est loin d’atteindre les objectifs vantés. La population la plus démunie n’y aura probablement guère recours. La souffrance ne sera guère prise en compte et peu accompagnée. L’externalisation vers le libéral masque difficilement le démembrement du service public qui avait cette large capacité d’accueil maillant le territoire. Le service public proposait aussi un accès et un suivi psychologique aux populations les plus éloignées des circuits d’accompagnement. Par ailleurs, nombre de personnes ne voulaient guère que leur demande transite par leur médecin généraliste. Enfin la patientèle classique, mieux informée, n’hésite pas à réclamer ce bas coût MonPsy pour soulager ses finances. Au fond, est-ce que ce dispositif est adapté aux objectifs énoncés ?
Le boycott reste de mise, même si ce n’est qu’une tactique et non une stratégie. La défense du service public et des recrutements en nombre est cruciale. La revalorisation salariale et une rémunération d’un minimum de 60 euros en libéral demeure une revendication. La proposition de Maison régionale de Psychologie est une proposition actuelle.
La suppression de bien des antennes et services, tant dans le médico-psychologique, le médicosocial et le social, a tari ces points d’écoute et de suivi psychologique qui rendaient tant de services aux populations démunies. La réorganisation de bien des lieux en des plateformes de diagnostic n’use que d’un artefact : disperser la demande dans les rouages incompréhensibles de la prise en charge. Dès lors muni d’un diagnostic, parfois plus artificiel que pertinent, l’errance débute en quête d’un soin qui les délivre d’une charge anxieuse. Cette errance les livre à une marchandisation de l’angoisse, soumise à la voracité de pseudo-thérapeutes, aux qualifications problématiques, auto-nommés psychopraticiens, coachs de vie, naturopathes, thérapeutes énergétiques, sophrologues, masseurs biodynamiques, etc. ou à celle d’entreprises de service. Un marché dérégulé exploite, sans gêne, le désarroi des personnes en souffrance. Cela est aussi une modalité d’embrigadement sectaire. Ceux-ci n’hésitent pas à sous-employer des psychologues diplômés, perdus et précarisés, pour légitimer leur commerce du mal-être existentiel. La protection du public ne serait-elle pas mieux appliquée en se penchant sur ces domaines ?
La protection du public par la présence de psychologues dûment diplômés et clairement qualifiés dans le domaine psychopathologique est une exigence pour la crédibilité même de la profession. La préservation de l’exercice même de la psychologie se doit d’être plus nettement protégée et non galvaudée. La régulation des pratiques à l’intention des personnes en souffrance ou vulnérables est une nécessité.
Les psychologues, dûment diplômés, en libéral n’échappent pas, parfois à cette tentation d’une logique de marché, s’engouffrant dans telle ou telle technique en vogue pour s’assurer une clientèle, ou se promeuvent spécialistes de tel domaine en proposant des évaluations plus coûteuses qu’utiles. Les distorsions dans l’accueil des personnes se glissent pour perpétuer la durée de prise en charge. Le dispositif MonPsy risque d’induire cette perversion dans la clinique : il deviendrait un moyen d’accroche pour fidéliser une clientèle. Ce sont bien des questions déontologiques qui s’agitent en ces points.
La mise en œuvre du Code de déontologie et son respect doivent être garantis par la profession.
D’un autre côté, une suite d’arrêtés et de décrets est venue cadrer l’exercice des psychologues dans le sens d’une paramédicalisation, l’habillant avec des « nuances sémantiques » parfois qui en font l’adresse. Les textes législatifs sur la psychothérapie et sur la formation nécessaire en psychopathologie sont délibérément omis. Il n’apparaît qu’un exercice délimité répondant à des attentes médicales, à des objectifs budgétaires et à des visées politiques. S’y glissent l’idéologie d’une vision libérale neuro- quelque chose, pour part éloignée des neurosciences. Des outils spécifiques sont imposés à contre- sens des revues de littérature sur l’évaluation de l’efficacité des psychothérapies les plus récentes. La Commission université s’était donnée la peine de faire intervenir un de ces auteurs de recensions pour souligner la vacuité des études de l’Inserm de 2005. Or, celles-ci, déjà objet de suspicions sur l’objectivité scientifique, continuent d’être un point d’argumentaire des thuriféraires de la profession. Les recours en Conseil d’état contre l’arrêté du 10 mars 2021 entravent peu cette logique.
La référence aux Sciences Humaines, la diversité des épistémologies et le pluralisme au sein d’une scientificité pertinente sont à défendre. Le refus des arrêtés et décrets qui instrumentalisent les psychologues dans une vision idéologique de leurs pratiques sont à refuser. L’obtention d’une formation doctorale professionnalisante en 3 ans (LMD) est une des clefs.
La profession de psychologue fait symptôme d’enjeux aussi divers que la définition du soin (l’écoute ou la normalisation), la fonction du service public (accueil ou gestion des populations), la représentation des professions (identité spécifique ou compétences cumulées), l’évolution de l’aide sociale (mutualisation ou assurances privées ; réponses aux besoins ou rationalisation des coûts), des orientations sociétales (collectivisation ou privatisation ; oblativité ou égocentrisme), des débats idéologiques (scientisme ou scientificité ; libéralisme ou socialisme) et de la nature des relations (parole vraie ou le leurre pervers du semblant).
Le dispositif MonPsy fait symptôme des dissensions qui traversent la profession. Si une minorité justifie l’adressage, la rémunération, l’inféodation au médical, la soumission à la prescription à l’encontre des intérêts de la profession, la majorité se révolte pressentant l’asservissement d’un côté et de l’autre les limitations faites au sens même de la clinique. La clinique, souvent lieu de fascination, s’est vue objet d’appropriation tout en se diversifiant en de multiples cliniques dont certaines ont pu se réduire à des techniques. Des enjeux non-dits se glissent créant de potentielles lignes de fracture par manque de clarification des postures psychiques des psychologues en regard des types d’intervention.
Il faut saisir les difficultés que traversent la profession comme exemplaire des tensions et des incertitudes sociales actuelles. Elles sont, au-delà de l’homothétie, un enjeu concret de la régulation des populations et un instrument politique à son insu. La création d’une instance, de type Haut Conseil, non inféodée au médical ou autre corps constitué, est une obligation.
Mais au-delà de cette première ligne de clivage révélant combien la profession pouvait être dépendante des orientations spécifiques d’une minorité active et influente, l’unité d’opposition n’est pas une convergence des intérêts particuliers. Bien des points sont l’objet de désaccords non élaborés. Faut-il rappeler les débats sur la possibilité d’une instance, sur la question du rapport avec le Code de la santé, sur la légalisation ou non du Code de déontologie, sur les modes de coordination des psychologues, sur les caractéristiques d’un allongement des études, etc. ? MonPsy induit la question indirecte de la qualification nécessaire dans un champ d’intervention (ce que chaque employeur déploie) : mais, au nom du Titre Unique, certains revendiquent le droit d’intervention sur tout domaine comme si l’activité libérale levait toute obligation déontologique. Le problème est à la fois celui d’une confusion entre Titre Unique et spécialisation dans un champ d’intervention, et celui d’une problématique éthique à l’égard d’un public en souffrance. Il y a des niveaux logiques qui semblent peu perçus.
La représentativité de la profession se limitait, en grande part, à un groupe restreint influent défendant des intérêts spécifiques. Il faut désormais élargir avec les collectifs et associations traduisant les sensibilités multiples de la profession. Le SNP se devrait d’être au premier plan de cette transformation et de ces changements.
Ces dissensions thématiques se répercutent dans les liens entre organisations, collectifs et associations, à l’intérieur, parfois, de certaines. Ces périodes de déstabilisation induisent des tensions, des conflits, des rivalités en raison de conceptions divergentes, d’intérêts contraires, d’ambitions opportunistes.
Des personnalités peuvent émerger dans une volonté de porter un consensus, ou pour se mettre narcissiquement au premier plan, ou par certitude de détenir la vérité historique, ou pour, sur le mode du thanatophore, détruire l’objet de l’envie. D’autres font preuve d’un talent certain par leurs trouvailles, par la clarté de leur écriture, par leur synthèse des points de revendication, par leur art de tribun. La mise en danger de la profession, dans un contexte incertain, induit un déséquilibre.
Il faut faire entendre la parole des personnalités les plus affûtées de la profession, les plus aux faits des questions syndicales et politiques, les plus aguerries dans l’exercice professionnels, les plus fines dans l’analyse de la situation, les plus sincères dans leurs engagements. Il faut limiter la place de ceux qui veulent se mettre en avant, de ceux qui veulent entrer au sein d’une organisation pour se valoriser, de ceux qui ne font de la profession qu’un argument publicitaire, de ceux qui font de leurs fonctions une rente à vie, de ceux qui ne défendent que les intérêts d’un secteur de la profession, de ceux qui cèdent aux sirènes des promesses gouvernementales. La profession nécessite la sincérité de militants.
Ces débats peuvent être riches dans la mesure où ils ne sont pas entravés par des jeux d’alliance, des blocages ou des manœuvres diverses fréquentes dans les relations institutionnelles. Nous retiendrons, au-delà des collusions incestuelles et meurtrielles, au sein des organisations ou entre elles, que la logique mise en œuvre par les directions générales, le cynisme ministériel, la surdité gouvernementale, la complaisance de certaines organisations ont favorisé la mise en crise de la représentativité de la profession.
L’organisation de débats au sein de la profession, la constitution de rapports étayés sur toutes les questions sont des démarches à réaliser en urgence. Le SNP se devra d’y participer.
La lutte de la profession pour une reconnaissance de son indépendance, pour une rémunération adéquate, pour son inscription dans les sciences humaines, pour une non-appropriation de ces méthodes, pour une protection du public, pour une responsabilité assumée de ses actes professionnels s’avère complexe et longue. L’unité sur le niveau de l’identité professionnelle au nom du titre unique est l’objet central en acceptant que tout psychologue, en regard des spécialisations prises, ne peut intervenir dans tous les domaines.
La bataille sur l’identité du psychologue, en regard de son Titre Unique, ne doit pas justifier l’effacement des différences de compétences en lien avec les spécialisations prises.
Le Syndicat National des Psychologues doit pouvoir se situer dans ce combat. Le travail avec les organisations et collectifs, une réflexion étayée, une ligne politique dans la continuité des élaborations antérieures, des actions fortes sont les conditions de sa crédibilité. Il doit trouver au sein de ses adhérents les forces vives et surtout les compétences qui lui permettront de participer à ces luttes à venir. Une ligne politique tenue par un Bureau consistant et constitué de psychologues ayant une réelle expérience syndicale soutenu par le travail de qualité mené depuis plusieurs années par les commissions garantira la pertinence de ses interventions. Le SNP ne peut se réduire à une organisation figée, objet de luttes d’appropriation ou de valorisation personnelle.
Le SNP doit s’appuyer à la fois sur un Bureau National solide accueillant des responsables ayant une très longue expérience syndicale mais aussi sur les adhérents plus récents, sincères dans leurs engagements, pouvant progressivement prendre des responsabilités avec la modestie et le désintéressement que supposent l’action syndicale. ■
PATRICK ANGE RAOULT,
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SYNDICAT NATIONAL DES PSYCHOLOGUES
PROFESSEUR DE PSYCHOPATHOLOGIE