Edito 274 – Le désenchantement

Une situation ubuesque dans un contexte de panique foncière sur le devenir des psychologues. Une flopée d’arrêtés sur des secteurs restreints pour des populations spécifiques répètent une antienne : une rémunération calculée paradoxalement avec une certaine honnêteté (échelon 9 de la FPH, compensation du temps FIR, coût des charges) qui s’avère peu réaliste par rapport à la situation libérale, la paramédicalisation des psychologues mis sous prescription. Une sidération des professionnels bientôt sous antidépresseurs.

Une valorisation publique de la fonction des psychologues en lien avec la situation Covid émerge. Une reconnaissance sociale et politique se constitue. Un projet de remboursement enfin apparu après les blocages des années 1970 : un espoir, bientôt suivi d’un désenchantement qui se clôt en une désespérance majeure. Une initiative de la CNAM lancée quelques années avant devant le constat économique du moindre coût des psychothérapies sur la médication prend le nom d’expérimentations. D’emblée le SNP en dénonce les modalités et refuse de signer un conventionnement. Quelques psychologues y adhérent. Elles deviennent le point argumentaire pour les années suivantes, voire le paradigme. Des arrêtés suivent à propos de l’oncologie, de la maladie d’Alzheimer, du spectre de l’autisme et de cette nouvelle invention : les TND (nous avions eu les TED auparavant !). Les PCO, plateformes, inscrivent le même principe. Des arrêtes surviennent dans l’urgence : le Chèque Psy étudiant, le 100 % enfants. Dans la suite du Ségur, la mesure 31 fait place aux psychologues dans les Maison de santé. La même logique traverse tous ces arrêtés : le psychologue intervient sous la prescription médicale de manière plus ou moins explicite, le tarif s’avère exsangue (de 22 à 32 euros), des méthodes sont parfois conseillées sur le schéma HAS, la durée de séance tirée au cordeau, des différenciations sont faites entre entretiens structurés et ceux non- ou dé-structurés dits de soutien, entre troubles légers/modérés et sévères, etc. Une rationalisation de l’intervention selon une pensée à la fois technocratique, comptable et logistique.

La profession s’agite, s’inquiète. Des tensions naissent, des reproches se fomentent. Certains en appellent à l’ordre comme solution magique résolutive. D’autres considèrent les organisations comme obsolètes et s’emploient à en créer de nouvelles qui, bien sûr, sauront mieux faire. La colère gronde, traverse la communauté. Quatre organisations, bien blanchies sous le harnais, lance une Manifestation et une grève. Elle a un succès jamais connu : des coordinations inter-organisations et inter-collèges, une quarantaine de villes, y compris dans les Drom Com, des audiences auprès des ARS et préfecture, une audience au Ministère, des milliers de psychologues battent le pavé, autant se mettent en grève sans être dans la rue. Un sentiment d’unité et un espoir renaissent malgré les lignes de fractures entre organisations. La déception suit très vite : la médiatisation est relative, le gouvernement ne plie guère. Cela accroît les ressentis de mépris et de non-prise en considération.

Des négociations avaient été sollicitées auprès du SNP et de la FFPP par le délégué ministériel. Une demande floue autour de la mise en place du remboursement. Elle devient la création de 200 postes ETP dans les Maisons de Santé et Centres de Santé. Puis la perspective devait se généraliser, avant finalement de revenir à ces quelques postes. Se révèle une volonté d’inscrire les psychologues dans le parcours de soins sur les interventions en première ligne. Il s’agit d’articuler les médecins généralistes et des psychologues, situés comme des outils thérapeutiques. De nouveaux partenaires sont présents et infléchissent les discussions premières. Les organisations de psychologues s’acharnent à défendre l’accès libre sans prescription et une tarification décente. Le coup est violent quand la FFPP cède et négocie les chèques Psy. Les organisations avancent des propositions de structuration qui ne seront guère retenues. Des perspectives semblent s’ouvrir. Dure est la chute quand survient l’arrêté du 7 juillet 2021. Les conclusions sont contraires aux attendus, et nous ne savons pas encore la machinerie administrative au travers de mesures d’application qui instrumentalisent le psychologue. Les organisations n’ont eu que fonction de caution, même si elles ont obtenu des aménagements à la marge.

Pour autant nous sommes sollicités à nouveau pour une réunion en plein milieu du mois de juillet afin de mettre une unification des dispositifs en un dispositif unique. Le schéma proposé est celui des Expérimentations. Nous nous y opposons. Des discussions âpres ont lieu à propos de la prescription amoindrie dès lors en adressage, à propos des indications qui sont rabattues à une classification DSM malgré notre proposition. Le problème de la rémunération est d’emblée mis sur la table, mais semble s’évaporer chez nos interlocuteurs. Des revendications fortes sont posées avec la menace de cesser toute négociation. Nous négocions pied à pied sans être dupes. Les circonvolutions enrobent des orientations déjà posées chez nos interlocuteurs. Des points avancent malgré tout.

Et patatras, le président, dans une fierté non dissimulée, fait son annonce fracassante : psychologues sous prescription, tarification à 30 euros. Le monde s’effondre pour la profession. Le SNP, présent lors de l’annonce, interpelle le président et le ministre de la santé. Le premier énonce que les médecins ne peuvent pas ne pas prescrire, que les psychologues n’ont pas fait une première année de médecine (!?). Il se gausse des psychologues vivant bien (?) qui ne viendront pas dans ce dispositif, mais s’adresse à ceux désargentés qui y trouveront leur pitance. Le second et ses conseillers pondèrent : le président s’est trompé, il s’agit bien d’adressage et non de prescription, et quant à la rémunération c’est 30 euros la demi-heure, soit 60 euros de l’heure. La confusion règne et non demandons une clarification officielle. Nous faisons savoir au délégué ministériel que les négociations ne peuvent se poursuivre sans une clarification officielle. L’autre organisation ne réagit pas et apparemment ne nous suit pas dans ce positionnement.

D’un côté nous entendons que la pression d’une partie du corps médical prévaut sur la demande des psychologues et l’intérêt de la population. Là où certaines professions d’auxiliaires médicaux obtiennent l’accès libre, les psychologues subissent le mouvement inverse dans une dynamique d’asservissement. De l’autre que l’adhésion volontaire se fait en appui sur le fait que la surproduction de diplômés en fragilise certains sur le marché du travail. Dans ce cadre, même un tarif faible les contentera afin de solvabiliser leur activité. S’appuyer sur la misère de certains pour déstabiliser l’ensemble de la profession demeure une démarche singulière.

Nous sommes entre Charybde et Scylla. D’un côté, le remboursement d’une partie de l’activité est en soi une très bonne chose et pour la population et pour les psychologues, mais cela implique des contraintes fortes inévitables, de l’autre le retour du pouvoir médical cherchant à mettre sous sa coupe les psychologues est particulièrement fort. En ce cas, l’évolution de la profession est notablement entravée : celle-ci est rabattue dans la masse des paramédicaux plus ou moins interchangeables comme le rappelle la montée en puissance des IPA, répétant le coup de force des décrets de compétence des infirmiers en début 1990 sur des actes psychologiques.

Derrière cette promotion du libéral ne soyons pas dupes sur le fait qu’il s’agit d’une externalisation des dispositifs qui accompagnent le démantèlement des structures institutionnalisées. Le process se déplace sur la question de la mise en réseau et de la coordination territoriale des professionnels libéraux. Il n’est guère étonnant que l’augmentation du recrutement de psychologues en institution ait rencontré tant de réticences initiales et que la revalorisation salariale de ceux-ci ne peut être abordée. Il ne s’agit pas en soi non plus d’une mesure bienveillante pour le bien-être de la population mais d’une logique économique de rentabilité. Il ne s’agit pas tant de se mettre à l’écoute d’une population que d’en gérer les dérives. La souffrance se trouve mise sous la coupe d’une vision rééducative et normative. La mise en cause de l’expérience, des connaissances et savoir-faire/être des psychologues en prise avec les affres des souffrances psychiques depuis plus de 70 ans est mise en avant pour reformater les cursus et les compétences attendues. L’intimité se dilue dans le partage de données entre professionnels dans des dossiers numérisés. Le psychologue tend à être aussi sous contrôle parfois au travers de méthodes imposées avec l’incantation idéologique de la science et du principe de réfutation. Au prétexte d’un scientifique et de critères de qualité se promeuvent des logiques évaluatives et managériales. Le risque de protocoles standardisés plane avec une déshumanisation latente. La modélisation sur une médecine somatique et une réponse pharmacologique s’objective dans la référence imposée à de « bonnes pratiques » HAS selon un repérage DSM. Des vétérinaires de l’âme se substituerait aux cliniciens de la psyché. La gradation des lignes de soins peut déboucher sur une logique de tri des populations au nom de l’efficacité. Elle ne s’appuie plus alors que sur le degré de déviance potentielle ou réelle d’un public dont la souffrance est sur le fond ignorée. La temporalité administrative et budgétaire n’est pas celle du soin psychique.

Le circuit de soins tente de rationaliser la diversité des trajectoires de vie et de soins ainsi que la complexité de la vie psychique. On se souviendra des discours dithyrambiques autour de l’égalité des chances qui ont accompagné le projet d’inclusion en milieu scolaire des enfants dits handicapés (11 février 2005). Il en résulte carences de soins et de suivis, substitution de professionnels formés par des bonnes volontés sous-payées et précarisées, fermeture en masse de structures médico-sociales ou réorientation sur les missions restreintes à des populations désignées par les termes fourre-tout de spectre de l’autisme ou troubles neuro-développementaux. Une simple vision économique.

Ce que nous avons à défendre ce n’est pas simplement une rémunération correcte et le refus de la mise sous tutelle médicale. C’est aussi une vision déontologique de l’accompagnement de la souffrance psychique. Travail délicat avec une réflexion constante sur les compromis possible et les mesures inacceptables. Dans ce travail de négociations, ce sont ces éléments qui, au travers de petits détails (indications, mode d’agrément, méthodologie, formation, etc.), sont l’objet d’une vigilance particulière.

Il y a un paradoxe à gérer : ne pas y être c’est laisser passer des lois et arrêtés comme nous en avons vu un certain nombre qui iraient dans le sens d’une tutelle médicale de psychologues sous-payés appliquant des méthodes imposées rééducatives, y être c’est défendre pied à pied, dans le moindre aspect, ce qui viendrait conforter la conception proposée. Le risque bien sûr est de se retrouver à cautionner des orientations peu favorables aux intérêts de la profession et/ou du public. Nous sommes dans l’art du compromis dans un processus où notre pouvoir de décision est très faible mais dans lequel nous sommes sollicités. Pour autant, il ne faut pas rater cette fenêtre historique qui s’entrouvre. Il n’est guère possible de s’accrocher à la vision libérale d’une pratique sans contrôle, soi-disant « libre », et qui plus est serait remboursée. Il n’est pas acceptable de se contenter d’une place de technicien exécutant sous le diktat médical des actes de bilans ou de rééducations psychologiques.

La profession doit élaborer et construire les fonctions qu’elle souhaite prendre.

Patrick Ange Raoult Secrétaire Général du Syndicat National des Psychologues

Professeur de Psychopathologie

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