Tribune – A la Chesnaie, une psychiatrie à visage humain est encore possible

Tribune publiée sur Libération le 12 août 2022

L’établissement emblématique de la psychothérapie institutionnelle est en vente. Un collectif de plus de 80 universitaires, politiques, institutions, médecins et soignants affirment leur soutien au projet de coopérative de l’équipe en place.

La clinique de la Chesnaie (Loir-et-Cher) est actuellement mise en vente par le médecin-directeur Jean-Louis Place, qui a fait appel au cabinet d’affaires la Baume Finance pour organiser l’appel d’offres. Le projet de coopérative soutenu par 80% de l’équipe soignante et médicale, est actuellement en concurrence dans un appel d’offres face à des groupes, associations ou fondations qui ne pratiquent pas les méthodes issues du mouvement de la psychothérapie institutionnelle. L’équipe soignante refuse tout repreneur extérieur et sera en mesure de finaliser son offre ferme à la fin octobre. Cette reprise sous forme de coopérative permettrait de préserver le sens que les soignants mettent dans leur travail et d’offrir à la clinique des possibilités financières rassurantes pour engager des travaux de rénovation et recruter de nouveaux personnels dans les prochaines années. L’équipe médicale actuelle soutient le projet et sera renforcée si la coopérative voit le jour.

Nous souhaitons que les soignants puissent aller jusqu’au bout de leur projet, avec tous leurs partenaires.

Déjouer les routines

Depuis sa création en 1956, la clinique de La Chesnaie est un lieu de soin emblématique. Elle est identifiée et reconnue nationalement depuis plus de soixante-cinq ans comme accueillant la singularité des personnes en souffrance psychique.

Aujourd’hui, le médecin-directeur souhaite quitter ses fonctions et vendre la clinique.

Le collectif des soignants s’est mobilisé en créant l’association les Ami.e.s de la Chesnaie pour défendre une reprise en interne. L’analyse institutionnelle, la psychanalyse, la phénoménologie psychiatrique, la fonction de décision partagée dans le collectif entre soignants, mais aussi avec les soignés, sont autant de référentiels qu’ils veulent préserver.

La Chesnaie est un espace ouvert, un petit village où le vivre ensemble au sein de l’institution met sans cesse au travail l’aliénation psychique tout autant que l’aliénation sociale. En effet, les soignants et les soignés réalisent ensemble les tâches de la vie quotidienne (cuisine, service de table, ménage, etc.). Cette organisation des soins et du travail a pour vocation de lutter contre les aspects les plus négatifs de l’aliénation sociale : l’effacement de la personne derrière son statut, sa fonction, l’assujettissement et les non-dits liés à la hiérarchie.

A Lagrasse, le psychiatre François Tosquelles à l’honneur du Banquet

Les soignants sont amenés à changer de poste régulièrement. Cette transversalité et cette polyvalence dans les gestes du quotidien contribuent à questionner les habitudes et à soigner l’ambiance institutionnelle. L’idée étant de favoriser des rencontres, déjouer des routines enkystées.

Le club thérapeutique et le réseau d’associations (restaurant du Train vert, crèche parentale, l’école de psychothérapie institutionnelle de la Chesnaie) en relation étroite avec la clinique sont de véritables passeurs entre la cité et la Chesnaie. Ce dispositif associatif renforce la libre circulation des soignés, des soignants, et rend possible et souhaitable la venue de personnes extérieures : concerts ouverts au public, fêtes, résidence d’artistes, etc. Meilleur rempart contre l’ostracisme et les idées reçues.

Vie démocratique

La reprise collective de cette institution sous forme coopérative est le meilleur dispositif pour préserver les moyens humains et la dynamique créative de l’équipe soignante.

La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) permet une vie démocratique au sein de l’entreprise qui prolonge l’organisation collégiale qui existe déjà. Elle est constituée de plusieurs catégories de sociétaires : soignants, représentants des bénéficiaires et partenaires extérieurs qui peuvent tous participer aux orientations stratégiques de l’entreprise. Il s’agit aussi d’un modèle économique plus éthique où le pouvoir ne revient pas aux actionnaires majoritaires mais se voit réparti entre les sociétaires : un sociétaire égale une voix, quel que soit l’apport financier de chacun. De plus, la majorité des bénéfices est affectée à la pérennisation de la structure et à la préservation de l’emploi.

La SCIC permet en outre de faire entrer au capital social des institutions alliées, des collectivités territoriales, des sympathisants, des acteurs sociaux et culturels afin de construire des partenariats durables. Le mouvement coopératif est vecteur de nouveauté, de progrès social en ceci qu’il n’est pas enfermé dans une logique d’appropriation individuelle. Le multi sociétariat de la SCIC permet à la fois de construire ensemble l’intérêt collectif, mais aussi de pérenniser l’entreprise et le lieu de soin sur du très long terme, en évitant les crises liées aux successions.

Ce que nous défendons

Les logiques de rentabilité et de gestion managériale dans le champ de la santé depuis plusieurs dizaines d’années conduisent notre système de santé à un état catastrophique. Le manque de moyens dégrade les conditions de travail, d’accueil et de soin. La protocolisation et l’homogénéisation des pratiques entraînent une perte de sens, un sentiment d’impuissance et entravent la créativité nécessaire à l’accueil de la folie.

Les soignants de la clinique sont conscients de la chance qu’ils ont de travailler dans une clinique à taille humaine. Depuis sa création, il s’y développe une culture chesnéenne que beaucoup considèrent comme un bien commun, qu’ils veulent protéger. Ils veulent continuer à créer des rencontres, des liens qui libèrent, donner le temps et les moyens nécessaires à chacun pour se soigner, s’orienter et créer sa circulation dans la cité.

C’est à juste titre qu’ils s’inquiètent de l’arrivée d’un acheteur extérieur. Aucun groupe, aucune association ni fondation ne peut garantir le maintien de cette culture soignante et des pratiques qui en découlent.

Le projet de reprise des salariés et des médecins s’inscrit dans la continuité et le déploiement des fonctionnements collectifs déjà à l’œuvre dans la clinique. Leur projet de SCIC semble donc tout à fait en accord avec une actualisation des enjeux de la psychothérapie institutionnelle au XXIe siècle.

En signant cette tribune, nous défendons une psychiatrie artisanale (1) respectueuse à la fois de la subjectivité des soignés et des soignants, autant sur le plan individuel qu’à l’échelle collective.

(1) Manifeste pour une psychiatrie artisanale, d’Emmanuel Venet, Verdier, 96pp, 7 euros.

Pour soutenir le projet de coopérative et voir l’ensemble des signataires.

Institutions  :

Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), Syndicat national des psychologues (SNP), Union syndical de la psychiatrie (USP), L’Appel des appels, Ceméa France (Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation actives), Fédération Inter-associations culturelles (Fiac), «Les convivialistes» autour de la Revue du MAUSS

Parmi les personnes signataires  :

Jack Lang, ancien maire de Blois, ancien ministre de la Culture et de la Communication, ancien ministre de l’Education nationale, président de l’Institut du monde arabe

Dr Pierre Delion, psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier émérite en pédopsychiatrie à l’université Lille-II, psychanalyste

Christophe Dejours, directeur scientifique de l’Institut de psychodynamique du travail, professeur émérite de l’université Paris-Nanterre

Cynthia Fleury, professeure titulaire de la chaire humanités et santé et titulaire de la chaire de philosophie du GHU-Paris psychiatrie et neurosciences

Pr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, professeure à l’université Paris Cité, cheffe de service de la Maison de Solenn et de la maison des adolescents de l’hôpital Cochin, directrice de la revue transculturelle l’Autre, membre de l’Institut universitaire de France

Renaud Barbaras, professeur de philosophie contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation et pédagogie à l’université Lumière Lyon 2, docteur honoris causa à l’université libre de Bruxelles et l’université de Montréal, président des Ceméa France

Dr Alain Vanier, psychiatre, psychanalyste, professeur émérite à l’université Paris-Diderot, ancien président de l’Espace analytique

Roland Gori, psychanalyste, professeur émérite de psychologie et psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille

Vincent De Gaulejac, Sociologue, professeur émérite de sociologie clinique à l’université Paris-Descartes et Université Paris-Diderot-Paris 7

Dr Antoine Pelissolo, psychiatre, professeur des universités, praticien hospitalière, chef du service au CHU Henri-Mondor de Créteil et UPEC

Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense, co-créateur et directeur de publication de la Revue du MAUSS, co-créateur et chercheur au laboratoire Sophiapol de l’université de Paris-Nanterre, animateur du mouvement convivialiste

Olivier Douville, psychanalyste, anthropologue, maître de conférences et directeur de publication de la revue Psychologie clinique, membre de l’Espace analytique

Gladys Mondière, présidente de la Fédération française des psychologues et de psychologie

Delphine Glachant, psychiatre au centre hospitalier les Murets, présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie

Livia Velpry, maîtresse de conférences, directrice de recherche en sociologie, université de Paris 8-Saint-Denis, CERMES3, université Paris-Descartes, EHESS, CNRS

Patrick Martin-Mattera, psychologue, psychanalyste, professeur à l’université catholique de l’Ouest à Angers

Dr Jean-Michel de Chaisemartin, psychiatre, ancien chef de pôle au C.H. de Landerneau

Dr Pascal Crete, médecin-directeur du foyer Léone Richet à Caen

Jacques Tosquellas, psychiatre, ancien chef de service à Marseille, membre de l’Association méditerranéenne de psychothérapie institutionnelle

Nicolas Philibert, réalisateur du film la Moindre des choses

Patrick Coupechoux, journaliste spécialiste de la psychiatrie, notamment pour Le Monde diplomatique

Dr Patrick Chemla, psychiatre, chef de pôle au centre Antonin Artaud à Reims

Dr Serge Hefez, psychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris

Dr Caroline Eliacheff, pédopsychiatre et psychanalyste

Catherine Dolto, haptothérapeute

Dr Emmanuel Venet, psychiatre, anciennement à l’hôpital du Vinatier à Lyon, auteur du livre Manifeste pour une psychiatrie artisanale

Lucienne Pery, historienne de l’art, art brut et outsider art, ancienne conservatrice du Musée d’art brut de Lausanne

Marc Gricourt, maire de Blois, premier vice-président de la région Centre-Val-de-Loire, ancien infirmier, président de la Fédération hospitalière de France Centre-Val-de-Loire

Pauline Braillon-Bobin, directrice de l’école expérimentale de Bonneuil, secrétaire générale de la Convention internationale des droits de l’enfant