LE RECOURS CONTRE L’ARRÊTÉ DU 10 MARS 2021 ET LA DÉCISION DU CONSEIL D’ETAT

En juillet 2021, nous – onze associations représentatives de psychologues cliniciens et de psychanalystes – avons formé devant le Conseil d’État un recours qui tendait à l’annulation de l’arrêté du 10 mars 2021 en tant qu’il détermine les approches auxquelles les psychologues doivent se référer dans le cadre des plateformes de coordination et d’orientation (PCO) destinées à prendre en charge les enfants avec des « troubles du neuro-développement » (TND). 

Trois autres recours ont été également formés devant le Conseil d’État. Si les quatre recours ont divergé dans leurs points de vue et leurs arguments, ils ont tous partagé le même objet, l’annulation de l’arrêté ou de son article 2. 

Dans le cadre de notre recours, suite à notre requête initiale qui exposait nos moyens (incompétence, exception d’illégalité du décret, erreur manifeste d’appréciation, atteinte à l’indépendance des psychologues dans le choix de leurs méthodes, atteinte à la liberté des patients de choisir et au principe d’égalité, etc.), le Conseil d’État nous a communiqué le mémoire en défense du ministre auquel nous avons réagi avec un très exhaustif mémoire en réplique. Le ministre a répondu à ce dernier avec un nouveau mémoire qui cette fois ne nous a pas été communiqué par le Conseil d’État, les juges ayant considéré qu’il n’apportait pas de nouveaux éléments. Enfin, immédiatement après l’audience publique du 18 mai 2022, nous avons adressé aux juges une note en délibéré. 

C’est avec une grande déception que nous avons pris connaissance, au terme de ce long parcours, de la décision du Conseil d’État de rejeter notre recours (ainsi que les trois autres). Le fait que les juges n’aient pas suivi le rapporteur public qui, trois semaines plus tôt, lors de l’audience publique, avait conclu à l’annulation de l’article 2 de l’arrêté au motif de l’incompétence du ministre à fixer les méthodes, montre bien que la décision finalement retenue n’allait pas de soi et laisse supposer des divergences d’approches et d’appréciations parmi les juges. 

Sur la compétence du ministre (légalité externe), nous avions soutenu que le ministre était incompétent pour imposer des méthodes thérapeutiques de manière générale et que l’habilitation qu’il avait par décret pour définir « l’expertise spécifique » des psychologues au sein des PCO devait se limiter aux critères d’appréciation de celle-ci (diplômes, expériences) et ne lui permettait pas de prévoir des méthodes. Les juges, contrairement au rapporteur public, ont affirmé que, dans le cadre des PCO, le ministre pouvait le faire, justement au titre de cette habilitation. 

Sur l’erreur manifeste d’appréciation (légalité interne), nous avions soutenu que dans la mesure où le ministre se réclame lui-même des recommandations de la HAS relatives aux TND, il n’était pas fondé à en sélectionner certaines plutôt que d’autres alors même que ces autres sont également reconnues comme pertinentes par la HAS. C’est ainsi que nous résumions concrètement ce point dans notre note en délibéré : « On ne voit pas sur quel fondement juridique ou scientifique un ministre pourrait indiquer dans le cadre du traitement des différents TND certaines approches (cognitivo-comportementales, remédiation neuropsychologique et psychoéducation) sans aucunement se référer à celles notamment psychodynamiques (psychanalytiques) et systémiques qui sont expressément recommandées par la HAS pour les troubles de l’attention (TDA/H), ni comment il pourrait le faire pour les troubles du neurodeveloppement qui ne font l’objet d’aucune recommandation de la HAS (troubles des apprentissages, troubles de déficit intellectuel, etc.). » Ces questions resteront malheureusement sans aucune réponse…

Les juges s’en tiendront à un niveau minimal de contrôle qui consiste à dire : le ministre peut exiger des formations à certaines méthodes dans la mesure où celles-ci font partie de celles qui sont recommandées par une autorité légitime (HAS). Force est de constater que la question de la légalité du choix du ministre est ainsi abordée uniquement en fonction des approches que le ministre indique dans l’arrêté et pas du tout en fonction de celles que, en creux, il exclut. Elle n’est pas abordée non plus du point de vue des fondements scientifiques et épistémologiques des choix du ministre (développements autour du consensus international dans notre mémoire en réplique). La non-inclusion de la psychanalyse et de la systémie dans l’arrêté du 10 mars 2021, point central de notre requête, reste ainsi dans l’angle mort de cette décision !

S’il n’est pas étonnant que les juges tiennent à rester extérieurs aux débats scientifiques et épistémologiques, ceux-ci ne relevant pas, en principe, du ressort du Conseil d’État, il en va autrement de l’erreur manifeste d’appréciation : étant donné que celle-ci est censée contrôler les choix du ministre lorsque ce dernier exerce sa compétence, l’absence totale de motivation sur ce terrain demeure le point le plus troublant de cette décision…  

Il apparaît ainsi que la compétence que les juges ont reconnue au ministre sur la base d’une conception extensive de la notion d’expertise a prévalu sur le contrôle de l’exercice de cette compétence (erreur manifeste d’appréciation quant à l’omission de la psychanalyse et de la systémie).

Si les juges se gardent bien de se prononcer sur des questions essentielles pour des psychologues, un point mérite néanmoins d’être relevé : le ministre avait soutenu dans son mémoire en défense que sa compétence à déterminer des méthodes ne lui venait pas du décret (R. 2135-2) l’habilitant dans le cadre de l’arrêté à définir l’expertise spécifique mais, de manière plus générale, de la loi (article L. 2135-1). Le Conseil d’État écarte cette interprétation (fin du point 6 de la décision) : quand bien même la loi est visée par l’arrêté, c’est uniquement au titre de l’habilitation pour définir l’expertise spécifique que le ministre peut aborder les méthodes. L’aspiration du ministre à bénéficier, par la loi, d’une compétence plus générale, qui lui permettrait de rendre les recommandations obligatoires et qui pourrait, éventuellement, s’étendre en dehors des PCO, se trouve ainsi récusée. 

Il convient de rappeler à ce propos que le Conseil d’État a récemment jugé dans une décision de principe du 23 décembre 2020 (association « Autisme espoir vers l’école », n° 428284) que les recommandations n’ont pas de valeur obligatoire : elles « ont pour objet de guider… » et « ne dispensent pas le professionnel de santé d’entretenir et perfectionner ses connaissances par d’autres moyens et de rechercher, pour chaque patient, la prise en charge qui lui paraît la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations et des préférences du patient ». Ainsi, toute idée qui consisterait à voir les psychologues dans leur ensemble dépossédés de leur rapport direct avec les recommandations de la HAS et le ministre investi d’une compétence générale pour imposer son interprétation du contenu ou de la portée de celles-ci serait dépourvue de base légale ou juridique. 

En conclusion, si le psychologue souhaitant signer un contrat avec les plateformes doit  maitriser quelques outils parmi ceux figurant dans la liste de l’annexe de l’arrêté (non exhaustive et réactualisée périodiquement) ou relevant des trois méthodes indiquées (ou de s’engager à s’y former), il n’en demeure pas moins que la psychanalyse et la systémie peuvent toujours faire partie des formations universitaires ou complémentaires (2ème partie de l’annexe) et que refuser à un psychologue l’accès aux PCO pour un motif tiré de ces orientations serait illégal. 

Il incombe désormais aux professionnels souhaitant s’impliquer dans les PCO de composer à partir de ces conclusions, dans le concret de leurs pratiques…

 

Evi Stivaktaki, présidente du Collège des psychologues de l’Arisse
Albert Ciccone, membre du Directoire du SIUEERPP
Patrick Ange Raoult, Secrétaire Général du Syndicat National des Psychologues

Pour le Collège des psychologues de l’Arisse, le Collège des psychologues de l’A.P.S.I., le Syndicat National des Psychologues (SNP), le Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse (SIUEERPP), l’Association Quelle hospitalité pour la folie, l’Association des psychologues de la Fondation Vallée, l’Association Figures Psychodramatiques, la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et Disciplines Associées (SFPEADA), l’Espace Résilience, la Société Européenne pour la Psychanalyse de l’Enfant et de l’Adolescent (SEPEA) et l’Association des Psychologues Cliniciens de Lille3.