Il y a quelques semaines, l’IGAS a publié un rapport concernant la prise en charge et l’accompagnement des victimes de faits d’incestes et de violences sexuelles pendant leur minorité. Ce rapport1 a le mérite de se pencher sur la prise en charge des victimes qui est un sujet absolument fondamental. Il tente de faire un état des lieux de la situation, ce qui est également une démarche tout à fait nécessaire.
Malheureusement, la lecture du rapport ne peut que nous interpeller en tant que syndicat professionnel tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, alors que le rapport dit se concentrer sur la dimension psychique, nous sommes frappés de ne voir qu’une seule psychologue identifiée comme telle auditionnée sur près de 48 personnes au total. A noter également que la moitié des personnes auditionnées sont issues des administrations, et principalement du ministère de la santé et de la prévention et du ministère de la justice. La référence ou le recours aux psychologues n’apparaît qu’à quelques rares exceptions dans le document de 75 pages, ce qui reflète le rôle attribué à la profession dans ce domaine qui relève pourtant de son expertise. L’absence d’organisation de psychologues et de psychiatres auditionnés interroge particulièrement.
L’ensemble de ces éléments ne peut que nous interpeller alors que beaucoup de psychologues exercent en première ligne pour traiter toute question relative à la souffrance psychique et aux traumatismes subis et ce, dans tous les secteurs d’activité de leur exercice professionnel : libéral, fonctions publiques et établissements du secteur privé.
Sur le fond, de nombreux éléments posent question.
Dans la continuité de la libération de la parole, liée en partie à la mise en place de la CIIVISE, il est mentionné la nécessité “d’un accueil inconditionnel de la parole par des écoutants expérimentés et sensibilisés2 en victimologie et en psychotraumatisme”. Il est précisé : “qu’il ne s’agit pas d’apprécier la réalité des faits que la personne concernée exprime mais d’entendre la parole dont elle est porteuse” (p.16). Ces écoutants expérimentés et sensibilisés existent : ce sont les psychologues qui sont en mesure d’écouter sans juger de l’authenticité ou non des faits. Ils sont formés, et ont cette expérience.
L’invisibilisation de la profession sur cette question est d’autant plus interpellante qu’il s’agit du fondement même de l’exercice du psychologue.
Le rapport met également en avant l’importance d’une structure spécialisée, le Centre Régional du Psychotraumatisme (CRP), qui est effectivement très importante à la fois dans ses missions d’évaluation et de soin. La centration sur les CRP semble néanmoins fortement occulter le rôle qui peut être joué par les Centres Médico-Psychologiques qui bénéficient d’un maillage territorial très important, bien supérieur à ces centres spécialisés, et qui accueillent depuis leur création tout type de public, dont des personnes dans des situations de psychotraumatisme. Se centrer uniquement sur les CRP crée d’emblée une inégalité territoriale pour les victimes.
Ainsi, nous soutenons qu’une augmentation massive des postes de psychologues en CMP et dans l’ensemble des services publics permettrait aux victimes d’incestes et de violences sexuelles de bénéficier d’une prise en charge dans des délais raisonnables, et partout sur le territoire.
Concernant la prise en charge elle-même, les auteurs du rapport préconisent le recours aux approches “les plus innovantes en matière de psychotraumatisme”. Si certaines approches sont réputées plus efficaces quant au traitement du psychotrauma, il importe de garder une approche ajustée et adaptée à chaque personne, loin des démarches protocolisées qui peuvent être préconisées indifféremment pour chaque personne. L’importance de la pluralité des approches, que défend fermement le SNP, s’applique également à la prise en charge des traumatismes.
La formation des professionnels est également abordée dans le rapport de l’IGAS. Concernant les prises en charge, le mépris concernant le travail des psychologues est total : “Les psychologues sont des professionnels à même de jouer un rôle important dans la prise en charge du psychotraumatisme et d’assurer l’essentiel du métier suivi, d’abord sous supervision3, dès lors qu’il n’y a pas de comorbidités chez le patient” (p.38). Les psychologues peuvent donc continuer à faire ce qu’ils savent faire, mais sous supervision, probablement médicale. La tentative de paramédicalisation est ici claire et montre bien qu’il s’agit de dénier l’expertise de la profession en matière de soins psychiques et de psychothérapies.
Enfin, les rédacteurs du rapport souhaitent s’appuyer sur ce qui semble être devenu l’unique réponse du gouvernement pour les soins psychiques : le dispositif MonSoutienPsy. Reconnaissant la faiblesse du dispositif et l’impossibilité de recourir aux thérapies “les plus pratiquées”, ils proposent au comité de suivi, dont nous avons dénoncé il y a quelques mois le fonctionnement4, d’étudier la possibilité d’une limite de 12 séances, tarifée 60 euros chacune.
Le SNP dénonce ce rapport comme étant paradigmatique du fonctionnement actuel du gouvernement : il est rédigé et conçu en partie par des administratifs (dont une part importante des ministères) et n’interroge pas suffisamment les professionnels de terrain qui sont au plus près des personnes en souffrance. Il propose des solutions dites “innovantes“ avant même de se pencher sur ce qui existe déjà et qui devrait être renforcé, à savoir les services publics. Enfin, ils invisibilisent la profession qui devrait être au cœur des réflexions autour des soins psychiques de manière générale.
Le SNP continue de soutenir avec force la mise en place d’une véritable réflexion autour d’une réelle politique publique pour la prise en charge de ces victimes, et plus globalement, autour de la question des soins psychiques, qui est une attente très forte de la population française. Une telle réflexion ne peut se faire qu’AVEC l’ensemble des professionnels de terrain et, notamment les psychologues.
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1 Ce rapport a été demandé suite à la demande du garde des sceaux, de la ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé et de la secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_definitif__igj__igas__vse.pdf
2 C’est nous qui soulignons
3 C’est nous qui soulignons