La société craque, les solidarités sont menacées. Les plus riches possèdent toujours plus alors que les plus précaires crèvent physiquement et psychiquement dans nos rues. Et l’on nous parle inclusion et réhabilitation. La proposition de normer tous ces pauvres, ces malades, ces porteurs de handicap rôde. Une vision psychologiquement positive tend à cacher que la condition humaine est faite d’imperfections, de souffrances, de ratés en tout genre et concourt au déni de la maladie et de la mort.
Prise dans ce type de regard, la société peine à organiser les soins psychiques autrement qu’en terme de réhabilitation. Or la définition (médicale)[1] du mot « réhabilitation » : Restauration d’un malade ou d’un handicapé à un mode de vie et d’activité le plus proche possible de la normale est lourde de sens. On peut donc craindre que la reprogrammation la plus proche possible de la normale des malades et des handicapés ne soit pas loin.
Attention ! La réhabilitation psychosociale n’est ni inutile ni foncièrement néfaste. De nombreux professionnels, dont des psychologues, la proposent, j’ai pu mesurer son intérêt quand elle est au service du sujet et qu’elle respecte son désir, au-delà de ses besoins.
Mais ce qui est grave, c’est le risque que la réhabilitation soit désignée comme la solution, à l’exclusion de quasiment tout autre. Elle est performante pour traiter les obstacles au rétablissement, ce qui est nécessaire, mais elle n’est qu’une des techniques de soin.
Les êtres humains ne sont pas des systèmes programmés et la maladie pas un bug à réparer. Un patient peut avoir besoin d’aides pour se remettre des conséquences d’une maladie mais ce serait un leurre de lui laisser croire qu’existe un standard humain auquel tout le monde aurait droit. Le mode de vie et d’activité normale n’est que l’expression d’une moyenne statistique sur une courbe de Gauss.
Parcours de soins et de réhabilitation ne suffisent pas et nous avons tous besoin également de parole et d’écoute. Philosophie, anthropologie, sociologie et psychologie sont des sciences nécessaires à la compréhension humaine. Les décideurs et particulièrement ceux qui prônent le changement devraient les écouter et prendre en compte leurs études pour que le désespoir ne l’emporte pas dans notre société.
Quand les protocoles remplacent la parole, des employés se suicident sur leur lieu de travail et les gilets jaunes viennent hurler que le bonheur n’est pas une évidence.
Jacques Borgy, SG
11 février 2019
[1] Définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales (Cntrl) : http://www.cnrtl.fr/definition/rehabilitation