SERAFIN-PH, L’AVENIR DU MEDICO-SOCIAL ? #2

PLONGÉE ACCOMPAGNÉE DANS LES NOMENCLATURES

Le premier chapitre de notre série vous a présenté une analyse globale du projet Serafin-Ph en tant que témoin des évolutions du secteur médico-social. Nous vous proposons ici une plongée dans le contenu des nomenclatures des besoins, termes qu’il nous faudra préciser, et l’analyse qu’en fait la commission Salariés du privé du Snp. Nous suivrons ensuite le courant vers les nomenclatures des prestations, dont nous tenterons aujourd’hui de vous faire saisir la logique. Le reste, concernant plus spécifiquement les psychologues et ce qui se nomme prestations indirectes, sera pour le prochain épisode !

La nomenclature des besoins

Compensation et adaptation : par rapport à quelle norme ?

Le besoin est ici caractérisé comme un « écart à la norme de réalisation d’une activité, tout en s’appuyant sur les capacités et potentialités, les habitudes et le projet de vie de la personne » et sa définition constituée par « les attentes de la personne et l’évaluation des professionnels ». Cette appréhension s’inscrit dans la logique de compensation du handicap, dans la lignée des lois 2002-2 et 2005 [1].

Malgré les précautions prises par l’équipe projet Serafin-Ph, on ne peut que s’interroger sur la détermination de la norme… et sur le poids de nos projections, de notre volonté de réparation et du mythe d’un individu idéalement autonome. Le respect de la singularité, de la subjectivité, le droit à la différence et le désir propre de la personne sont à prendre en compte, tout autant que cette évaluation se voulant objective, faisant courir le risque d’une réification des personnes concernées.

D’autre part, la centration sur des objectifs d’adaptation, car c’est bien ce qu’implique la notion de compensation, ne doit pas amener à un rétrécissement de la temporalité à courte échéance. La prise en compte de processus d’évolution au long cours, avec leurs tours et détours, reste indispensable pour ne pas réduire « l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté » de la personne handicapée à une succession de tentatives d’adaptation à la norme.

Quant aux attentes des personnes, si un effort doit être fourni pour mieux les respecter, cela ne doit pas escamoter le travail de la demande – au sens où nous, psychologues, l’entendons – sous ses versants manifestes mais aussi latents, ni le travail autour des non-demandes : les accueillir, les entendre, les analyser, élaborer une réponse, parfois décalée de la demande exprimée, ce qui engendre parfois de la frustration… Nous avons en tête, par exemple, les enjeux du travail avec des personnes à problématique hystérique, avec lesquelles la question de l’insatisfaction fait partie du travail clinique, ou avec des familles pour lesquelles une information préoccupante peut être effectuée.

Une représentation de la personne basée sur son fonctionnement : non-prise en compte de la dimension psychique

La nomenclature des besoins est basée sur la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (Cif). Elle s’appuie « sur les facteurs personnels, à savoir les besoins relatifs aux fonctions et structures du corps qui permettent de mettre en lumière un/des besoins en matière de santé somatique ou psychique ».

La description des besoins en matière de santé somatique et psychique (ci-dessus) illustre une lecture organiciste de l’humain. Cette nomenclature s’appuie sur une approche biomédicale et adaptative des déficiences : si les points de vue biologique et social y apparaissent, le psychologique est à peine présent. Les besoins en matière de santé présentent les aspects somatiques et psychiques sur le même plan, la conscience et les pulsions sont décrits comme des mécanismes physiologiquesle modèle somatique est appliqué à la dimension psychique. Nous aurions aimé une approche bio-psycho-sociale ! Malgré la référence à la Cif (cf. tableau ci-dessus), la conception et l’évaluation fonctionnelle de cette classification rabattent ce qui relève de la santé psychique sur des fonctions organiques, réduisant les besoins de la personne au champ de son handicap : fonctions mentales dont cognitives et psychiques ne sont qu’une déclinaison des besoins en lien avec les fonctions du cerveau. Oubliée (niée ?) la subjectivité, constitutive de tout être humain : le vécu en termes affectifs, émotionnels, de bien-être, d’épanouissement, les perspectives développementale (la construction psychique, l’enfance, les processus adolescents…) et environnementale (les éléments réactionnels liés à des événements de vie : handicap, deuil, traumatismes…).

Au-delà d’un besoin en lien avec les fonctions du cerveau, la demande singulière, en lien avec le vécu intime et la souffrance existentielle, même silencieuse, est à évaluer et doit trouver son répondant dans les prestations.

Le projet Serafin-Ph met en avant que les nomenclatures « ne visent pas à « découper » l’accompagnement mais à l’expliciter », néanmoins, celles-ci présentent un repérage segmenté de besoins et non une compréhension de la personne dans sa globalité. C’est une des limites de l’outil : quel travail de synthèse, de liens, pourra contrebalancer cet effet ?

La nomenclature des prestations

Les prestations, transcription d’une logique libérale

Les prestations sont définies comme des « services réalisés au profit des personnes » et appuyées sur le Code de l’action sociale et des familles [2]. On peut souscrire à l’idée d’être au service des personnes que l’on accompagne, au titre d’une délégation de service public… Mais la notion de profit est aussitôt mise en parallèle avec celle de valeur ajoutée, inscrivant ces prestations dans un modèle économique libéral. Ce choix est assumé : « Les prestations directes constituent le cœur des prestations médico-sociales. Elles sont porteuses d’une valeur ajoutée pour les personnes, car elles répondent à un besoin ». Voici, comme nous l’évoquions dans le précédent chapitre, la consommation en libre-service. Quelle possibilité d’écoute, quelle attention à la rencontre sont alors possibles ?

Serafin-Ph s’inscrit sans conteste dans une transcription des politiques publiques actuelles visant à transformer radicalement le secteur médico-social. On y fait équivaloir la logique de places avec une rigidité excluante et celle des réponses avec une adaptabilité parfaite aux situations… Cette individualisation croissante des dispositifs d’accompagnement médico-sociaux augure des changements organisationnels majeurs.

D’autre part, prétendre qu’aujourd’hui les réponses ne consisteraient qu’en places en établissement est à nuancer : c’est peut-être ce que les autorités de tutelle déduisent à partir de leur grille de lecture, mais cela méconnaît le travail réalisé avec les personnes accompagnées, au plus près de leur réalité, retranscrit dans l’élaboration des projets individualisés, décrit dans les projets d’établissements et services, les rapports d’activité des structures, etc. !

Des processus soutiennent les prestations

Les craintes légitimes du secteur médico-social portent notamment sur le risque d’une tarification à l’acte, qui ne prendrait pas en compte le travail des professionnels en dehors de la présence des personnes accompagnées : travail informel en équipe ou en réunion, prise de recul et réflexion théorico-clinique, formation…

De manière surprenante, alors qu’un survol des nomenclatures pourrait laisser penser que ne sont cotés que des actes, la lecture approfondie des documents explicatifs de Serafin-Ph (encore faut-il avoir et prendre le temps de se plonger dans ces documents conséquents) laisse apparaître une prise en compte implicite du travail des professionnels en dehors de la présence des personnes.

Une prestation recouvre ainsi le temps de présence de la personne accompagnée dans la tête du professionnel : non seulement lors du travail en face à face mais aussi dans la préparation et l’après-coup de l’intervention, les recherches théoriques, les réunions… Il faudra donc veiller à ce que tous les processus intervenant dans la délivrance d’une prestation soit bien pris en compte pour le financement du temps de travail des professionnels.

Parallèlement, une hésitation sur la prise en compte des activités principales et accessoires des professionnels parcourt le « Rapport intermédiaire » et les « Nomenclatures détaillées » de 2016. Les détails n’en étant pas toujours, le travail de chaque professionnel, dans toutes ses dimensions, devra être valorisé à sa juste mesure.

Prise en compte du travail en équipe : expliciter pour éviter des risques de malentendus

Le travail en équipe, au bénéfice des personnes accompagnées, tient une place importante dans les pratiques médico-sociales. Face aux nombreuses questions sur l’absence de mention de cette part du travail dans les nomenclatures, l’équipe projet de Serafin-Ph a été amenée à apporter des précisions sur la place de la coordination dans sa Foire aux questions.

En avril 2018, une révision des nomenclatures a introduit une prestation de coordination renforcée pour la cohérence du parcours qui « s’impose ou prend le relai de la coordination usuelle mise en œuvre par les professionnels accompagnant des personnes en situation de handicap, lorsque cette dernière ne constitue plus une réponse suffisante ».

Nous affirmons nous aussi que le travail d’équipe pluridisciplinaire et sa dynamique de coordination font partie intégrante du travail des professionnels du secteur médico-social : ils potentialisent les effets des différents accompagnements proposés et en font plus que la somme des prises en charge isolées.

Si l’on ne s’impose pas une lecture exhaustive et attentive des documents, on peut croire que la coordination n’est cotée que pour les cadres, éventuellement un coordinateur ou un référent de parcours. On fait alors abstraction de toute la coordination horizontale, de l’ancrage des prestations dans un travail d’équipe. Les fonctions supports (fonctions gérer, manager, coopérer, qualité et sécurité, relation avec le territoire, …) risquent par conséquent d’être financées au détriment du temps de réflexion collectif des professionnels de l’accompagnement et du soin. Nous proposons donc une mention à ajouter à tous les tableaux des nomenclatures, par exemple : Les prestations de soins et d’accompagnement incluent implicitement les processus qui y concourent (travail de préparation et réflexion, recherches théoriques…), dont le travail en équipe pluridisciplinaire (dans le cadre de réunions et de manière informelle).

Tout comme pour les prestations directes et les processus implicites qui y sont inclus, la lecture des nomenclatures seules ne permet pas forcément d’appréhender cette logique de coordination mise en œuvre par les professionnels, déroulée dans les documents explicatifs. 

Comme il est fort probable que tous les acteurs ne lisent pas tous les documents explicatifs Serafin-Ph, le risque d’utilisations hâtives et de mauvaises interprétations des nomenclatures est à craindre. En outre, compte tenu des dérives constatées dans l’utilisation de recommandations de la Haute autorité de santé par certaines Agences régionales de santé et acteurs politiques, il est indispensable que le mode d’emploi des nomenclatures soit explicite et clair. Et ce d’autant plus que « la nomenclature des prestations permet de décrire l’activité d’un Esms | et de construire des indicateurs de suivi et de pilotage de l’activité » : ce qui est implicite risque d’être oublié donc non valorisé et non financé.

Notons également que dans le contexte actuel d’externalisation des prestations, de développement des Pôles de compétences et de prestations externalisées (Pcpe) [3], voire de tentation de sous-traitance, le risque de segmentation des prestations dispensées par divers Esms est grand, entraînant un affaiblissement du travail d’équipe autour de la personne, et, pour cette dernière, une position d’objet de prestations morcelées.

Vers l’indifférenciation des professionnels éducatifs et sociaux ?

Les prestations directes de soins, de maintien et développement des capacités fonctionnelles sont réparties en fonction des professionnels qui les mettent en œuvre, ce qui n’est pas le cas pour les prestations en matière d’autonomie ou de participation sociale. Dans ce vaste domaine, qu’est-ce qui différenciera la même prestation effectuée par des catégories professionnelles différentes ? L’accompagnement pour la communication et les relations avec autrui sera-t-il semblable avec un aide médico-psychologique, un éducateur spécialisé ou… une interface de communication ? Les niveaux de formation, donc les manières d’accompagner, de prendre du recul ou de concevoir des projets, varient : quelle valorisation financière en fonction de la qualification de celui qui réalise la prestation ? Mettre sur le même plan le travail de ces différents professionnels accentue la tentation du recours à des personnels moins formés et moins payés, avec les conséquences que l’on imagine sur la qualité de l’accompagnement.


Notes

  1. L’article 11 de la Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoit que « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie »
  2. Voir par exemple les articles L.311-1, qui décrit les missions de l’action sociale et médico-sociale, et L.312-1, définissant les établissements sociaux et médico-sociaux, auxquels fait probablement référence le « Rapport intermédiaire » (p. 17)
  3. Le Pcpe est ainsi défini dans la communication du Secrétariat d’État auprès du Premier ministre chargé des Personnes handicapées : « dispositif souple, adaptable et innovant qui permet d’apporter une réponse ajustée aux besoins les plus complexes, en proposant aux personnes des plans d’interventions individualisées qui exigent la coordination d’une pluralité de professionnels dans une visée inclusive ». Dans la pratique, ces dispositifs font débat…

 

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