Il y a maintenant quelques mois nous avions accepté de travailler sur un dispositif de remboursement unifié des consultations des psychologues. Ce travail d’envergure devait être une avancée majeure pour la profession autant que pour la population. Il a constitué un travail important de la part de nos organisations et fait émerger un certain nombre de propositions. Si certaines de nos prises de position vous ont permis un éclairage suffisant pour créer les ajustements nécessaires sur ce dispositif, la teneur des arbitrages rendus n’est clairement pas conforme aux attentes de notre profession. En l’état et conformément à ce que nous avons annoncé, ils ne permettent pas la poursuite des négociations avec notre syndicat car nous refusons de cautionner davantage la précarisation de notre profession.
Nous vous avions clairement exprimé, lors de nos rencontres, notre opposition à certains éléments fondamentaux du dispositif. L’impasse centrale est celle qui contrevient au Code de déontologie contresigné par les représentants de la profession, soit la question de la prescription médicale. La solution intermédiaire de l’adressage représentait certes une avancée, mais ne changeait pas l’esprit du dispositif, à savoir l’obligation de l’indication médicale pour l’entrée dans ce dispositif.
Nous retenons cependant la notion d’adressage comme modalité générale des relations entre le corps médical et le corps des psychologues quel que soit le lieu d’exercice et le dispositif.
Cette obligation d’une indication médicale réalise non seulement une difficulté clinique à la prise en charge (soulignée par des études anglo-saxonnes) mais aussi dans certaines circonstances, une entrave aux processus psychothérapiques. Elle ne peut correspondre à l’ensemble de la patientèle visée, parfois réticente à confier ses drames intimes à un tiers médical, pouvant par ailleurs être le médecin de famille. Elle ne semble pas cohérente avec les limites budgétaires avancées. Elle ne répond pas non plus aux qualifications d’évaluation clinique et psychopathologique nécessaires aux conditions d’entrée dans le dispositif. Nous vous avons encouragé, sans réelle écoute, à inventer de nouvelles modalités administratives et législatives concernant la profession de psychologue, qui sans être des professionnels de santé, participent au champ de la santé dans sa définition européenne.
Le deuxième point relève bien sûr du souci de la rémunération. Nous avons tenté, à nouveau sans réelle écoute, de montrer qu’en situation libérale, le tarif proposé, autour d’une trentaine d’euros, conduisait les professionnels pouvant s’engager dans ce dispositif à une précarité économique et à une vulnérabilité sociale. Nous avons proposé plusieurs solutions dont celle des Mutuelles et complémentaires. Mais ce projet a été détourné pour permettre un moindre coût à la CNAM sans contrepartie pour les professionnels, qui se trouvent ainsi doublement lésés. Malgré les pirouettes multiples tentant de nous faire croire que 30 euros pour les 40 mn évaluées assuraient d’un revenu satisfaisant, l’activité libérale n’est viable au long cours que pour un tarif moyen d’environ 60 euros.
Les dérives d’une rémunération faible sont multiples : sous-qualification des professionnels impliqués, multiplication de séances écourtées pour faire du chiffre, qualité de l’intervention réduite, technicisation au détriment des personnes reçues, etc.
Cette surdité manifeste conduit aux risques d’une psychologie à bas coût pour un public paupérisé avec une qualité moindre et un manque de respect à l’encontre des personnes reçues.
Ces deux seuls points produisent une réaction d’hostilité importante de la part des professionnels. La majorité des organisations représentatives, et des professionnels appellent au boycott de cette mesure à venir comme elle l’avait fait pour les autres mesures existantes. Cela s’est concrétisé au travers de manifestations importantes, initiées par diverses organisations professionnelles et relayées par l’ensemble de la profession, pour la profession : les manifestations du 10 juin et du 28 septembre 2021.
Celle du 10 juin a été remarquable par une mobilisation jamais vue dans la profession : près de 20 000 professionnels ont été impliqués soit en se regroupant auprès des préfectures ou ARS, soit en se mettant en grève.
Une autre manifestation numérique citoyenne, cette fois-ci, les 27 et 28 octobre 2021, s’est traduite par des envois massifs aux parlementaires, pour exprimer le désarroi d’une profession se sentant maltraitée.
Enfin nombre de parlementaires ont été sollicités, en entretien et par courrier, tout d’abord et de façon assez systématisée par le SNP, mais aussi par d’autres organisations, des collectifs et des professionnels individuels. Il n’est pas tenu compte du mécontentement de la profession.
Après l’allocution de M. Macron en clôture des Assises de la Psychiatrie, il a été clairement exprimé, à l’écoute des mesures annoncées (prescription, rémunération, dépendance au médical), la suspension des négociations qui perdaient dès lors leur sens.
Cette absence du SNP fait qu’il n’y a plus de représentativité satisfaisante de la profession dans ces négociations.
Nous restons particulièrement attentifs au projet développé, en particulier dans ses modalités.
Nous avions proposé plusieurs axes sur lesquels nous ne dérogerons pas :
Il ne s’agit pas d’accompagnement psychologique comme il est stipulé dans l’amendement présenté, mais de « consultations par des psychologues » permettant ainsi la reconnaissance du titre unique de psychologue et le pluralisme des approches.
En regard des recommandations du Code de déontologie et de ce qui se pratique depuis plus de 50 ans, nous sommes particulièrement attachés à la préservation de l’accès direct au psychologue. Cet accès direct permet la souplesse nécessaire pour répondre et accéder à un public diversifié en proie à une souffrance difficilement exprimée. Il est la condition d’une réponse adaptée au mal-être existentiel, à la prévention des troubles psychiques, à l’accompagnement de formes psychopathologiques diversifiées. Ce travail relève des Approches psychologiques au sens de la distinction posée par la Cour des comptes, en opposition aux Approches psychiatriques. Ces Approches psychologiques relèvent de la compétence des psychologues. Que l’on puisse exiger une amélioration de la qualification va dans le sens des préoccupations de la profession et des enseignants-chercheurs. Elle ne peut être l’occasion d’une forme d’OPA sur la profession de psychologue.
Soucieux de la qualification des psychologues engagés auprès d’un public vulnérable, nous avions mis en exergue une formation qualifiante en psychopathologie (cursus complet en psychologie, master 2 en psychopathologie et clinique, une expérience formative consistante en clinique psychiatrique, sociale et/ou du champ du handicap, une expérience professionnelle d’au moins trois ans).
Pour l’évaluation des candidats, nous avions proposé des comités d’agréments organisés et gérés par des représentants de la profession et des organisations professionnelles. Nous réfutons des comités constitués uniquement de représentants du corps médical avec un ou deux représentants de la profession. Que les candidatures retenues par la profession puissent être présentées et argumentées auprès d’une commission large mise en place par l’ARS nous paraît tout à fait légitime.
Ces comités d’agréments étaient pensés dans un schéma national selon le principe d’un COPIL national constitué par les organisations professionnelles avec une déclinaison en Comités régionaux de la psychologie. Ceux-ci auraient parmi d’autres fonctions : celles d’assurer la mise en place, la coordination et l’harmonisation de ces comités d’agréments, d’être garants du respect du Code de déontologie en appui sur une Charte, de permettre la mise en place des liens partenariaux et d’être les interlocuteurs des projets territoriaux.
À propos de la formation, nous ne pouvons envisager qu’une formation doctorante sur le modèle LMD basée sur l’expérience clinique en milieu institutionnel. Ce doctorat professionnalisant, de trois ans, permettrait par des stages en responsabilité sous la référence d’un professionnel aguerri, ayant si possible un doctorat, l’acquisition d’une qualification adaptée aux exigences actuelles. Cette formation qualifiante aurait plusieurs visées : constituer une expérience garantissant une adaptabilité efficiente pour offrir un service de qualité en respect du public, rattraper le décalage inacceptable dans l’harmonisation des niveaux de formation (mastérisation des paramédicaux, 5ième année en psychiatrie, etc.), réduire le nombre inconséquent de psychologues diplômés mis sur le marché, respecter le pluralisme par l’acquisition d’au moins deux modèles d’épistémologie complémentaires, assurer une transmission par des professionnels ayant une réelle expérience de terrain, etc. Nous refuserons toute formation ad hoc d’une année supplémentaire réalisée uniquement par une institution tutélaire, parfois en faisant de l’année de stage en poste avant titularisation, une année de formation. Nous serons particulièrement attentifs à ne pas avoir de tutelle médicale ou de gouverne des facultés de médecine. Nous réaffirmons notre appartenance aux sciences humaines.
Ces quelques points rappellent donc notre refus du dispositif en l’état. Nous dénonçons le mépris affiché pour la profession de psychologue avec la mise en place d’un dispositif qui ne tient pas compte des manifestations et des propositions des psychologues, une volonté injustifiée de para médicalisation de la profession au mépris des réalités professionnelles, la paupérisation de la profession et le mépris envers le public reçu. En l’état, le syndicat a appelé au boycott de ce dispositif par la profession.
Par ailleurs, la mise en avant du remboursement masque l’insuffisance des recrutements dans les institutions qui offraient auparavant l’accès gratuit aux consultations psychologiques. La mise en place d’un tel dispositif ne doit pas oublier les revalorisations des salaires des psychologues dans l’hospitalier, la fonction territoriale, le médico-social, l’éducation nationale et le secteur privé.
La reprise de nos discussions ne pourra se faire que sur des bases qui soient, à notre sens, pertinentes, ce qui n’est actuellement pas le cas. Pour la profession, nous resterons vigilants sur les points d’application et les modes de déclinaison du dispositif unifié que vous souhaitez mettre en place. Nous continuerons à vous exprimer les désaccords et inquiétudes du terrain qui découleront de ces conditions d’application comme nous l’avons fait pour les mesures et arrêtés mis en place antérieurement.
Nous demeurons attentifs aux informations que vous nous ferez parvenir.