La crise engendrée par la pandémie de COVID et le retour à l’école après deux mois de confinement pour tout le pays bousculent aussi les psychologues de l’Éducation nationale quant à leurs modes d’intervention et l’exercice de leurs missions. Le confinement et le déconfinement sont venus chambouler les pratiques, les positionnements. Ils viennent interroger dans l’institution la place et le cadre de travail du psychologue.
Comment le psychologue de l’Éducation nationale, fragilisé dans ses repères professionnels, peut-il aujourd’hui assurer sa mission ? Dans une période inédite, quelle est sa place, que laisse-t-il en suspens ? Comment est-il un acteur fondamental de la préservation d’une considération des mouvements psychiques dans un temps où la peur de la contagion et les volontés de maîtrise sont si fortes ?
Pendant la période de confinement, les psychologues de l’éducation nationale se sont rendus disponibles pour les équipes, pour les familles, pour les enfants. Mais voilà, la continuité « pédagogique », les modalités de l’enseignement à distance, l’utilisation massive des réseaux sociaux, de Whats’app en Youtube, en passant par les blogs, les nombreuses plate-formes de ressources, les visioconférences, tout cela a contribué à diluer le psychologique dans le pédagogique. Les psychologues sont restés en lien avec les équipes, ont continué à gérer les parcours scolaires, ont tenté de garder le contact avec les élèves qu’ils suivaient.
Lors du retour à l’école, la sollicitation des psychologues par le ministre de l’éducation nationale, le jeudi 7 mai, a fait penser qu’ils trouveraient toute leur place dans ce début de déconfinement. Deux minutes et quelques secondes de reconnaissance d’un corps de métier, appel à la contribution pour un traitement de la souffrance liée au vécu actuel. Les psychologues EN sont enfin identifiés, reconnus, affirmés dans leur mission de vigilance sur la santé psychique. Mais qu’en est-il des déclinaisons sur le terrain ?
Les choses ont été plus complexes que prévu : branle-bas de combat organisationnel entre mairies et écoles, application d’un protocole sanitaire tout simplement kafkaïen, incertitudes quant aux nombres d’élèves, besoin de prendre des repères dans ce fonctionnement inédit… L’agir a d’abord pris le pas sur la pensée, dans une ambiance stressante, où les injonctions paradoxales rajoutaient à ce stress, peut-être surtout pour les familles qui ne savaient (et ne savent toujours pas) ce qui est le mieux pour leur enfant : rester chez soi ou retourner à l’école.
L’on se dit tout d’abord que l’heure n’est pas aux bilans et aux parcours scolaires à construire ; l’on se dit que l’heure est au soutien des équipes enseignantes, à l’accueil des enfants, au repérage de stress post-traumatique, à l’accompagnement de ce retour à l’école, une école qui s’est transformée…
La variété des contextes professionnels est grande : certains psychologues se sont, dans les premiers jours, recentrés sur les suivis en cours, les dernières demandes d’aide, les dossiers MDPH non aboutis, tout en continuant le soutien aux équipes. D’autres ont été sommés de rester chez eux pour ne pas participer à la transmission du virus. D’autres encore ont occupé leur bureau et ont continué le travail à distance. Certains ont vaqué dans un nombre limité d’écoles. Mais tous sont en lien avec les équipes agitées par les organisations sanitaires et l’accueil fortement « protocolarisé » des élèves.
Dans certains départements, il y a eu le manque de prise de position des IEN ASH, pour d’autres l’injonction institutionnelle de scolarisation des élèves porteurs de handicap. L’institution annonçait dans les médias un retour pour les enfants en difficulté, mais la crainte des enseignants de ne pas pouvoir les accueillir en respectant le protocole sanitaire était immense. Que fallait-il faire, entre sécurité, accueil, bienveillant ou apeurant ?
Les directives locales sont extrêmement diverses. Cette multitude d’injonctions plus ou moins cohérentes vient faire vaciller les repères des psychologues. Le cadre institutionnel, pourtant soutenu par des mesures sanitaires claires, ne tient pas. Les inspecteurs de circonscription déclinent leurs demandes, dans un panel qui va du soutien au réel travail de psychologue à des demandes de bascule sur un travail quasiment social…
Pour cette fin d’année scolaire, il est encore d’imaginer des dispositifs construits en RASED ou en Pôle ressources pour être au plus près des élèves, laissant ainsi la place qui revient au psychologique dans des périodes aussi troublées que celle que nous traversons et dont nous ne connaissons pas la durée.
Les remontées de terrain nous permettent à ce jour de recenser quelques idées :
- Les échanges entre psychologues sont toujours source d’idées et de réassurance.
- Les familles ne sont pas autorisées à entrer dans les écoles. Certains d’entre nous, avec accord de l’inspecteur, et dont le bureau est accessible par une entrée différente des élèves de l’école, peuvent reprendre des entretiens familiaux. D’autres s’entretiennent par téléphone.
- Le psychologue peut investir des « passages » comme celui de la liaison Grande section-CP ou encore CM2-6 Certains ont élaboré des pratiques avec l’infirmière scolaire pour aider les enfants entrant au collège
- Le psychologue a pu intervenir en classe, avec l’enseignant, pour inviter les enfants à parler de u vécu de confinement. Sa présence a permis un accueil en « duo » de la parole des enfants, venant soutenir un moment d’expression riche et alors non envahissant pour l’enseignant.
- Certains psychologues mettent en place des groupes de parole pour des enseignants pour prendre en compte le vécu psychique de ces personnes lors du confinement et de la reprise de l’école.
- Des psychologues ont recherché des solutions afin de pouvoir entreprendre des bilans : utilisation hebdomadaire de la mallette de WISC, manipulation de deux jeux de cubes pour ne pas toucher les mêmes que l’enfant, positionnement préalable des feuilles de Codes et Symboles, ou des consignes de dessin, et évitement de les toucher dans les heures précédant la rencontre…
- Outre les passations standardisées, la rencontre avec un enfant est toujours surprenante et engage le corps, les déplacements les échanges spontanés. Pour l’instant il est compliqué d’envisager de telles situations de rencontre individuelles tant les mesures sanitaires biaiseraient le déploiement de l’échange.
Pour conclure : avec les contraintes légales et locales, le psychologue s’adapte et use de créativité pour tenter de contribuer à l’attention portée aux enfants et aux familles. Il ne lui est pas facile de trouver sa place dans l’école soumise à des protocoles, au contact des personnels enseignants devant chaque jour réinventer le mode d’accueil (effectifs qui évoluent, modalités sanitaires…).
Si cette catastrophe met en évidence la capacité créatrice des différents acteurs de l’école publique, elle fait aussi ressortir l’absence d’une culture institutionnelle en adéquation avec les textes des missions des psychologues. Les psychologues ne participent pas à l’agitation ; leur pratique trouve leur sens et leur efficacité parce qu’elles sont pensées en amont. Dans l’opérationnalité ambiante, le psychologue est à même de percevoir les mouvements d’angoisse, de colère, d’attaque, de fatigue. Sa disponibilité psychique est encore et toujours sollicitée ! Les psys EN doivent en ce sens participer à l’élaboration des formations d’enseignants, mais aussi venir en appui à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des projets dans le monde scolaire, quel que soit le contexte, mais d’autant plus dans un contexte de crise. Ils doivent se voir accepter leurs propositions d’intervention en classe, en petits groupes, autour de l’élaboration psychique nécessaire face aux aléas de la vie des enfants et adolescents. Le SNP poursuit activement sa mobilisation en ce sens, avec le projet de et l’introduction d’un conseiller technique dans la chaîne fonctionnelle.
Oui, la question de la place des psys EN et de leur présence face aux enfants, ne devrait pas se poser lors d’une prochaine période de crise, qu’elle soit sanitaire, sociale ou les deux à la foi. Cette place a été affirmée par le ministre, elle doit pouvoir être maintenant soutenue à tous les échelons hiérarchiques et sur le terrain.
Nos effectifs se réduisent depuis des années. Mais ce message ministériel voulait mobiliser au maximum les « troupes « ! Il y a sans doute une carte à jouer, en cette période particulière, pour faire objectiver à nos autorités de tutelle la pénurie insoutenable de psychologues au sein de l’institution, au regard des besoins !
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