Crise Covid-19, quelles ressources les psychologues EN constituent-ils ?
Le vendredi 13 mars dernier, tous les élèves et étudiants de France, de la maternelle à l’Université, ont dû rapporter leurs affaires de classe chez eux car les établissements allaient fermer leurs portes pour une durée indéterminée. En tant que psychologues EDA, nous avons pu constater l’affolement généré par cette annonce, tant au niveau des équipes que pour les élèves eux-mêmes. Entre deux lavages de mains, les enseignants faisaient tourner la photocopieuse, se penchaient sur les plates-formes numériques d’apprentissages scolaires. L’agitation était très forte.
Depuis, le corps enseignant semble être extrêmement sollicité, tant pour la mise en place de tous les systèmes qui permettent « l’école à la maison », que pour la mise en place de permanences à l’école pour transmettre des documents aux familles n’ayant pas d’équipement informatique, l’accueil d’enfants de soignants, les réunions virtuelles avec leur hiérarchie, les réponses aux mails, les appels téléphoniques aux familles. Les Pôles ressources se sont tant bien que mal inscrits dans ces dispositifs. Quant aux psychologues de l’Education nationale, ils se sont signalés comme étant à disposition, se disant pour la plupart qu’il était nécessaire dans un premier temps de laisser passer le choc de cette fermeture brutale de toutes les écoles, combiné à celui plus large du confinement de tout le pays, les déplacements devant être réduits au maximum pour limiter la diffusion de ce virus très contagieux.
Passé le moment de sidération, chacun a pu éprouver ce que le confinement pouvait générer d’angoisses ; chaque psychologue a pu imaginer ce que cette situation pourrait faire vivre aux élèves qu’il suivait, au sein de familles en situation déjà très difficile, avec des problématiques sociales, médicales, économiques, des enfants porteurs de troubles psychiques lourds. Petit à petit, avec le système de classes virtuelles, les psychologues prennent, reprennent leur place dans les dispositifs, par le biais des enseignants et de certains IEN. Le ministère, quant à lui, ne semble pas se souvenir de l’existence des psychologues au sein de l’Institution, ne les cite pas dans son vade-mecum.
Cette période de confinement, avec la peur de la maladie et de ses conséquences possiblement désastreuses, touche les psychologues comme l’ensemble des citoyens. Nul n’est épargné dans cette gestion de l’épidémie, dans les angoisses qu’elle véhicule, dans ce qu’elle vient bousculer pour nos pratiques professionnelles.
Dans la circonscription, aux côtés des enseignants spécialisés, le psychologue est interrogé sur sa manière d’ « agir » ou d’ « être là ». La commission EN du SNP préconise de rester à la disposition des équipes pédagogiques et des familles sans s’imposer auprès d’elles. Les familles et les professeurs peuvent faire appel au psychologue via les directeurs d’école qui possèdent son mail professionnel. Un échange téléphonique en appel masqué en cas d’utilisation du téléphone personnel, suite à un contact par mail, constitue un appui aux parents et aux professionnels. Il vise à soutenir la parentalité, écouter les angoisses liées à la situation de confinement, de maladie ou de deuil éventuel.
Le travail par téléphone est pour la plupart d’entre nous une nouveauté, il oblige à réfléchir à nos modalités de rencontre puisque seule la voix s’offre à nous dans l’échange. De plus, devons-nous nous entretenir avec les parents ou aussi avec l’enfant ? De multiples questions sont éveillées par ces configurations nouvelles, un cadre est à créer. Les échanges entre psychologues EN nourrissent la réflexion.
Le temps est suspendu, les ESS et équipes éducatives n’ont plus lieu, les MDPH ont arrêté l’analyse de dossiers, le temps de la mise en place de réunions en visioconférences pour traiter les impératifs. A la fin du confinement, les psychologues redeviendront « actifs » ! Il faudra être très présent autour des équipes et des enfants… alors ne nous inquiétons pas de cette pseudo inactivité. Le psychologue n’a pas à entrer dans une agitation que provoque la crise actuelle, il n’a pas à envoyer des mails avec des conseils d’activités ou des recettes d’occupation des journées et de maîtrise émotionnelle. Sa position « meta » est bien le gage d’un réel travail psychologique au service des usagers, même si la situation est exceptionnelle et vient faire tanguer ses repères méthodologiques.
Restons plutôt disponibles et ne jugeons pas à l’avance des compétences familiales et des ressources de chacun. Par des contacts systématiques, nous posons un acte qui vient leur signifier notre supposition de leurs difficultés. La frontière entre notre soutien « de loin » à des familles en difficulté et l’intrusion au sein de la cellule familiale est mince ! Toute notre créativité se situe alors dans le choix dosé et réfléchi de nos appels ou de nos propositions d’être contactés, en fonction de notre connaissance des situations individuelles, encore une fois au plus près de la clinique. Accueillons l’angoisse que certains souhaitent partager dans l’instant, mais ne nous mettons pas dans une volonté de traitement de la souffrance pendant le confinement.
De toute évidence, notre connaissance de situations tendues, inquiétantes, avec des souffrances psychiques ou physiques, avec des fonctionnements familiaux pathologiques, amène à penser à eux, à entrer en contact avec les enseignants afin de mesurer à distance l’éventuel climat, et de proposer éventuellement un lien téléphonique. Nous restons également en contact téléphonique avec les partenaires médico-sociaux.
Par ailleurs, nous craignons que cette situation accentue le fossé entre les familles « incluses » qui ont les codes et les méthodes pour instruire leurs enfants et les « exclues » qui ne pourront pas prendre en charge l’instruction de leurs enfants. Quelle place le psychologue EN peut-il trouver dans ce cas ?
Nous pouvons alors répertorier les situations sensibles, joindre l’enseignant concerné et s’assurer qu’il maintient le lien avec la famille en question. Dans le cas contraire, organiser une réunion à distance pour construire en partenariat un « protocole d’élève à risque de décrochage » ?
Pour les psychologues EDO, compte-tenu des missions sectorisées, le télé travail imposé aux psychologues, comme aux autres agents, révèle des difficultés qui sont parfois aussi des dysfonctionnements : la continuité pédagogique passe par des entretiens téléphoniques ou vidéos mais la plupart des C.I.O. ne fournissent pas encore de téléphone professionnel. L’institution se devra de proposer une plateforme adaptée à des consultations à distance dans le respect du code de déontologie. Les psychologues de l’Education Nationale comme tous les psychologues, et comme beaucoup de professionnels d’ailleurs, s’adaptent, ajustent, chaque jour de confinement supplémentaire, leur pratique professionnelle aux exigences de cette situation exceptionnelle. Il faut se former en urgence, pour dompter la pratique d’un nouvel outil, pour armer sa pratique de référence théorique renouvelée. Il faut être présent, par mail, par téléphone, pour garder sa place ou prendre sa place dans cette nouvelle organisation de l’école mais rester souple face à la désorganisation que la situation « de guerre » nous impose. Les procédures d’orientation et d’affectation sont et seront bousculées et il s’agit de gérer, plus que jamais, les inquiétudes qu’elles engendrent.
Notre vigilance et notre soutien doivent rester intacts pendant toute la durée de ce confinement. Il s’agit en fait de se préparer pour la suite, avec une aggravation éventuelle de la situation sanitaire.
Dans ce contexte, les revendications quant à la non-application dans nombre d’académies du décret statutaire en lien avec la création du corps des psychologues EN, la baisse des recrutements d’une année sur l’autre, ainsi que la tentative de déposséder les psychologues EN EDO de leurs prérogatives quant à l’orientation professionnelle des élèves correspondent toujours à la nécessité de la reconnaissance de la place des psychologues EN au sein de l’Education nationale.
Chacun sait que le travail ne manquera pas lors de la gestion des effets post-traumatiques de cette crise sans précédent. Cela n’empêche que nous nous devons de poursuivre, de façon non intrusive, notre travail d’accompagnement des familles et des équipes éducatives, dans le respect des règles liées à la catastrophe sanitaire à laquelle nous sommes confrontés et qui ne peut que nous alerter sur l’aggravation des inégalités sociales qui l’accompagne aujourd’hui.
Le 28/03/2020,
Eliane Gamond,
secrétaire, pour la commission éducation nationale du SNP.