ACTUALITÉS DU SECTEUR PRIVE : spécial secteur de l’aide aux personnes âgées

ÇA BOUGE EN EHPAD… MAIS OÙ VA-T-ON ?

 

La consultation « Grand âge » du ministère des Solidarité et de la santé, « Comment mieux prendre soin de nos aînés ? » livre ses premiers résultats. Après 2 mois de consultation citoyenne, censée contribuer à l’élaboration d’une vaste réforme sur le grand âge et l’autonomie, il est annoncé que les personnes ayant répondu à l’appel du Gouvernement privilégient 7 axes : «Renforcer le maintien à domicile des personnes âgées »,  « Améliorer la qualité et l'accueil des personnes âgées en établissements spécialisés », « Mieux accompagner les aidants », « Améliorer les conditions de travail des personnels d'aide et de soin aux personnes âgées », « Réduire le coût de prise en charge de la dépendance en établissements comme à domicile », « Renforcer l’accès à la santé pour les personnes âgées » et « Développer des lieux de vie alternatifs ou intergénérationnels innovants ».

 

Le Snp vous propose un panorama des dernières actualités de ce secteur… où l’on découvrira qu’il y a loin des vœux exprimés dans cette consultation à une politique réellement respectueuse des personnes âgées et des professionnels qui en prennent soin. Mais les répondants à la consultation avaient-ils bien en tête que le marché prime souvent dans ce secteur aussi ?

 

 

ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS À BUT LUCRATIF

Qualité de vie au travail : rendre les salariés plus performants pour une valeur ajoutée… mais laquelle ?

 

Le 13 novembre dernier est paru au Journal officiel un « Avis relatif à l'extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée ». En effet, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa)[1], la Fédération de l'hospitalisation privée (Fhp)[2] et la Cfdt ont signé l’avenant du 12 juin 2018, avec pour objectif de donner des cadres au déploiement de politiques d’amélioration de la qualité de vie au travail et d’égalité professionnelle, de partage et de diffusion de bonnes pratiques peut-on lire sur le net (en cherchant bien)[3]. La ministre du travail envisage de prendre un arrêté tendant à rendre obligatoires, pour tous les employeurs et tous les salariés entrant dans son champ d'application (ie pouvant relever de la Convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002), les dispositions de cet accord.

 

Déjà, une circulaire budgétaire adressée aux Agences régionales de santé (Ars) par le Secrétariat d’État chargé des personnes handicapées précisait en juin dernier que « 13M€ de financements complémentaires supplémentaires sont inscrits dans vos Drl [dotations régionales limitatives] afin de soutenir des démarches de qualité de vie au travail en Ehpad, dans le cadre de la Stratégie pour la qualité de vie au travail (Qvt) dans les Esms. […] De plus, 3 M€ de crédits supplémentaires […] seront mis à votre disposition ultérieurement pour financer des actions d’accompagnement des EHPAD sur cette même thématique pour la mise en place de clusters sociaux pour les établissements sociaux et médico-sociaux » [4].

 

Le préambule de l’accord pose la Qvt comme contribuant « efficacement à la qualité des soins et à l’accompagnement de la perte d’autonomie » et « possibilité [ou non] de" faire du bon travail" », rappelle la nécessaire égalité femmes-hommes dans un milieu très féminisé et souligne la difficulté du travail, qui plus est dans un contexte socio-économique et technique complexes et exigeants, en un mot violents. Mais bien vite les maître-mots de réussite, performance, valeur ajoutée font leur apparition… N’oublions pas que nous sommes dans le secteur privé à but lucratif, l’objet des établissements n’y est peut-être pas seulement le bien-être des uns et des autres (ou des unes et des autres ?). Le reste serait trop long à détailler ici, il s’agit, dans la lecture que nous en faisons, de déclarations de bonnes intentions et de projets de création d’indicateurs et d’observatoire que « les partenaires sociaux signataires de cet accord demandent aux entreprises [concernées de s’] approprier, pour [les] décliner à leur tour […] et d’en faire le support d’une démarche de qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle »[5]

 

On peut se demander si cette extension de l’accord ne permettra pas, à plus ou moins long terme, de construire un modèle de bientraitance des salariés qui vaudrait pour tout le secteur de l’aide aux personnes ?

 

 

THÉRAPIES NON MÉDICAMENTEUSES

Encore trop peu utilisées… parfois parce qu’inutilisables ?

 

L’enquête annuelle sur les pratiques et usages (les Pugg) de la Société française de gériatrie et gérontologie (Sfgg) porte cette année sur la bonne prescription d'antalgiques dans les structures gériatriques. Elle n’a hélas pas pu restituer certains aspects de la réalité des professionnels non-médecins.

 

Il ressort de l’« Enquête PUGG 2018 : étude des traitements antalgiques en structures gériatriques » que les pratiques sont assez conformes aux consensus actuels : 90% de prescriptions de paracétamol et une minorité de morphiniques, d’opioïdes faibles et de tramadol. Les thérapies non médicamenteuses, recommandées par la Haute autorité de santé (Has), sont, elles, utilisées de façon insuffisante selon la Sfgg. Qu’il s’agisse d’hypno-analgésie, de psychothérapie, de sophrologie, d’ergothérapie, de kinésithérapie, de musicothérapie, d’art-thérapie ou d’autres encore, ces alternatives aux antalgiques ne représentent, dans l’enquête, que 25% des cas mais « sont de plus en plus prescrites » (des psychothérapies prescrites ? mais ce n’est pas le lieu de ce débat).

Ce qui n’est pas évoqué, c’est ce qui nous fait retour du terrain : des protocoles et des matériels longuement pensés et élaborés, mais dans des instances si loin du quotidien qu’ils ne répondent pas toujours aux besoins ou à la culture des résidents. Des équipes, parfois – souvent ? – très motivées, cherchant des alternatives à la médication se retrouvent en difficulté faute d’une adéquation entre ce qu’elles repèrent comme nécessaire ou utile et les réponses proposées par les concepteurs. Ainsi, des investissements conséquents sont faits en vain et des matériels coûteux sous-utilisés, simplement parce qu’ils ne correspondent pas à ce dont les personnes âgées et le personnel auraient l’usage.

A l’heure où l’on découvre ( !) les bienfaits de la participation des usagers, il est fort regrettable que l’on oublie encore de consulter les personnes concernées et ceux qui travaillent à leurs côtés.

 

 

Échantillon de l’enquête PUGG 2018 : Étude des traitements antalgiques en structures gériatriques

131 gériatres dont 29% travaillent dans des unités gériatriques aiguës (Uga), 26% dans des structures de soins de suite et réadaptation (Ssr), 16% en unités de soins de longue durée (Usld) et 29% en Ehpad.

Les 854 personnes âgées concernées avaient été traitées par antalgiques 48 heures avant l’évaluation. 88% d'entre elles sont âgées de 80 ans et plus, 67% sont des femmes.

 

ROBOTS COMPAGNONS

Quelle éthique… et pour qui ?

 

Utilisés pour aider au maintien de l’autonomie des personnes âgées, ce que l’on nomme les robots compagnons amène à questionner les pratiques et l’éthique. Le 27 novembre dernier, des acteurs du secteur médico-social (chercheurs, représentants du secteur Ehpad, médecins, entrepreneurs…) en ont débattu au salon Silver Economy Expo. La technologie peut être formidable, compenser nos défaillances, ouvrir nos horizons, nous en faisons tous l’expérience. Mais quand elle s’adresse (ou s’impose) à des personnes âgées fragilisées, est-elle toujours un bien ?

 

Une partie de ces adaptations est, sans conteste possible, un soulagement pour les équipes, qui peuvent travailler en sollicitant moins leur propre force physique. Mais les robots obligent également à une modification des pratiques, à l’acquisition de compétences techniques… Bientôt des aides-soignantes avec des clefs à molette dans la poche ? des psychologues-techniciens en maintenance ?

Et quand il s’agit de relation, de soin, les outils peuvent poser problème. La déléguée générale du Synerpa[6] souhaite faire « entrer ces nouvelles technologies, notamment pour aider dans l'animation, dans le contact avec le résident, mais pas pour remplacer le soignant ». Cette formulation implique-t-elle que l’animation et le contact avec les résidents peuvent, eux, être assurés sans problème par des robots ? Nous pouvons supposer que non, ou au moins pas tout à fait, puisqu’elle alerte également sur le risque de maltraitance que représente une utilisation inadaptée des robots conversationnels. Reste donc à définir cette utilisation adaptée qui ne serait pas maltraitante. Qui ne viendra pas pallier le manque de personnel qualifié. Qui, discrètement, viendra soutenir la personne âgée sans lui imposer ses modalités de fonctionnement.

Reste ce qui se joue pour les personnes âgées dans leur relation à ces machines, parlantes ou non, qu’on leur donne comme compagnons. Certains parlent de dérive émotionnelle, de projection sentimentale déroutante et dangereuse. C’est bien méconnaitre l’humain que de ne pas savoir que l’affect, l’émotion, les sentiments viennent s’accrocher à ce qui se présente, humain, animal ou machine. Alors oui, l’éthique, la déontologie et le bon sens réunis ne seront pas de trop pour que nous puissions penser la place à donner aux hommes et aux femmes, qu’ils soient résidents ou professionnels, car c’est bien cela qui se joue dans l’utilisation des robots. Souvenons-nous de Ph-K. Dick et de ses androïdes qui rêvaient peut-être de moutons mécaniques.

 

DU CÔTÉ DES ANIMATEURS EN GÉRONTOLOGIE

Le quotidien social, autre nom de l’attention à l’autre

En novembre se tenait à Nantes le 13e congrès national du groupement des animateurs en gérontologie (Gag)[7]. Être attentif à l’autre est le cœur de métier de ces professionnels, et nous psychologues avons à entendre ce qu’ils nous disent des personnes âgées et des façons d’en prendre soin

 

Le concept de quotidien social peut sembler bien complexe pour ce qu’il désigne, mais il a pour avantage, si l’on dépasse son côté hermétique, de mettre en valeur une dimension essentielle de la prise en charge. Il porte l’attention sur ce qui fait une bonne part du style de chacun, jeune ou vieux, ses habitudes, les gestes répétés jour après jour et qui parfois finissent par s’oublier et se perdre : manger, se laver, faire ses courses, choisir ses vêtements… Comment restituer dans les établissements cette notion souvent laissée de côté pour privilégier les soins ?

Le Gag a insisté sur la nécessité d’une inscription du quotidien social, au-delà de ce que les animateurs peuvent en restituer dans les projets de vie des résidents, dans les projets d’établissement, dans le travail collectif, et avec le soutien des directions. Mettre en commun les ressources des personnes âgées et celles du personnel, voici une idée qui peut sembler bien neuve (ou bien vieille, selon les lieux). Sortir de la routine, s’ouvrir au monde, partager, chanter si l’on ne peut plus parler… vivre peut-être ?

Autre point abordé : dans quelle mesure la structure peut-elle s’adapter aux personnes hébergées ? jusqu’où peut-on exiger de ces dernières que ce soient elles qui se plient au fonctionnement de l’établissement ? Sachant qu’il s’agit de préserver le bien-être des personnes âgées et de conserver le sens du travail pour les professionnels. D’autres débats encore ont eu lieu, interrogeant ce que peut être un quotidien en institution et les façons de respecter la singularité de chacun, quand bien même les troubles liés à l’âge ou à la maladie viennent restreindre ses capacités de participation.

Le travail des animateurs en gérontologie, justement parce qu’il ne relève pas de l’intervention soignante mais du champ de l’animation sociale, peut contribuer à réintroduire cette dimension essentielle. Des alliés précieux pour les psychologues !

 

EN BREF

  • En 2015, seulement 10% des résidents décédés en Ehpad ont eu accès aux soins palliatifs. Les équipes mobiles de soins palliatifs (Emsp) et réseaux de santé en soins palliatifs (Rssp) n’ont ainsi bénéficié qu’à moins de 16.000 des 150.000 personnes décédées prises en compte dans une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Source : « L’Ehpad, dernier lieu de vie pour un quart des personnes décédées en France en 2015 », Études et Résultats n°1094, Drees, novembre 2018).

Chiffres à mettre en parallèle avec les 87% d’Ehpad disposant de protocoles ou de procédures liées à l'accompagnement de la fin de vie, dont 75% intègrent un volet soins palliatifs dans le projet d'établissement.

Mais là encore, les chiffres ne disent pas le travail quotidien des équipes, l’accompagnement au plus près, le temps passé, dès lors que l’organisation du travail en laisse la possibilité, auprès des personnes hébergées pour que la fin de leur vie soit accompagnée d’un regard, d’un geste et d’une parole bienveillants.

3.300 personnes de plus de 60 ans résidant de manière en Ehpad, autres maisons de retraite ou établissements de soins de longue durée (Sld) et leurs aidants informels ont répondu à cette enquête.

Plus de la moitié d’entre eux dépense plus de 1.850 € par mois pour financer son séjour, somme variant de façon spectaculaire selon le statut de l’établissement où ils résident : la participation financière médiane est de 2.420 € dans les établissements privés à but lucratif, de 1.850 € dans le secteur privé à but non lucratif, de 1.790 € dans les établissements publics hospitaliers et de 1.730 € dans les établissements publics non hospitaliers. L’allocation personnalisée d'autonomie (Apa), permet ou non, selon les départements, d’éviter que cette somme augmente trop avec la perte d'autonomie.

La retraite moyenne, elle, s’élevait à 1.500 € et, , soit 0,2% de hausse par rapport à 2016.

La , débutée le 1er octobre dernier sous les auspices de la ministre des Solidarités et de la Santé, aura fort à faire…

  • Les groupes privés d’Ehpad (Korian, Orpéa, DomusVi, Colisée, Lna Santé, etc.) orientent leur développement vers l’aide à domicile, mettant en avant non une stratégie de croissance mais une logique de parcours. Il s’agit pourtant bien de l’acquisition, par des groupements privés à but lucratif, d’autres opérateurs, avec au bout l’ouverture de nouveaux marchés, non ? La communication parle de croissance externe ou de développement interne pour nommer la concentration de services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), de services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et d'hospitalisation à domicile (Had) dans des entreprises qui ont ainsi la main sur le marché du vieillissement. Est-ce un hasard si ce sont les mêmes qui pratiquent les tarifs les plus élevés pour l’accueil en Ehpad ?

 

 

[1] « 1er syndicat national des maisons de retraite privées »

[2] Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France

[3] https://www.tripalio.fr/article/index/c5dad81af563449b959a194d3fa03ee5/hospitalisation-privee-se-penche-egalite-professionnelle

[4] INSTRUCTION N° DGCS/SD5C/DSS/SD1A/CNSA/DESMS/2018/121 du 15 mai 2018 relative aux

orientations de l’exercice 2018 pour la campagne budgétaire des établissements et services médicosociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées, cf. site Légifrance http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2018/05/cir_43367.pdf

[5] Nous n’avons pu trouver ce texte pour l’instant que sur le site Tripalio, à la page https://www.tripalio.fr/article/index/c5dad81af563449b959a194d3fa03ee5/hospitalisation-privee-se-penche-egalite-professionnelle

[6] « 1er syndicat national des maisons de retraite privées »

[7] « L’animateur en Gérontologie met en oeuvre -en coopération avec d’autres professionnels, des partenaires, des bénévoles -un projet global d’animation à destination de personnes âgées, qu’elles soient ou non dépendantes, qu’elles résident en structures collectives ou à leur domicile. Par ses interventions en termes d’accueil, d’accompagnement et d’animation, l’animateur en gérontologie vise à favoriser le bien-être, l’épanouissement de la personne âgée et à lui permettre de développer, conserver ou retrouver du lien social. », extrait du répertoire national des certifications professionnelles (Rncp), http://www.rncp.cncp.gouv.fr/grand-public/visualisationFiche?format=fr&fiche=15747

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