Salariés du privé…

 SI VOUS DEVIEZ DEVENIR LANCEUR D’ALERTE ?


Que doit faire un salarié lorsqu’il pense devoir alerter un tiers à propos d’une situation qui se déroule sur son lieu de travail ? D’autant plus quand des personnes vulnérables sont concernées (malades, handicapées, fragilisées par une situation sociale difficile…) ? Intéressons-nous à la tension possible entre l’exercice d’un droit constitutionnel et une obligation contractuelle encadrée par la loi.

Le droit et le devoir

Les salariés bénéficient, comme tout citoyen et en tant que tels, de la liberté d’expression. C’est une des valeurs fortes de la République, affirmée et réaffirmée, puis reprise dans les textes européens (cf. encadré). Par ailleurs, la jurisprudence française a défini, pour les salariés du secteur privé, une contrainte forte, qui peut, si ce n’est s’opposer, du moins restreindre fortement cette liberté : l’obligation de loyauté. Aucun texte législatif ne définit cette dernière, qui découle de la notion de bonne foi légiférée dans le Code civil (Articles 1104 et 1194) et reprise dans le Code du travail (Article L1222-1). Les agents de la Fonction publique, eux, sont soumis à l’obligation de réserve (Conseil d’État, 10/ 7 SSR, du 28 juillet 1993) ; cette dernière résulte d’une jurisprudence et s’appuie sur le principe de neutralité du service public (Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, Article 25).

LIBERTÉ D’EXPRESSION : LES TEXTES

 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Article 11 

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, Article 1

« […] le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »

Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Article 11 – Liberté d’expression et d’information 

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’avoir des opinions, de recevoir et de répandre des informations et des idées sans ingérence de la part des autorités publiques et quelles que soient les frontières […] »

Lancer une alerte

Le cas particulier des lanceurs d’alerte, notre sujet, est défini par la Loi dite Sapin II (Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, articles 6 à 16) : « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.

Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte défini par le présent chapitre » (Article 6).

Le deuxième alinéa réduit d’emblée le champ possible, mais ne concerne pas les psychologues, à moins qu’ils aient à faire avec la Défense nationale, ce qui est le cas d’une minorité, ou qu’ils aient connaissance de documents ou de propos relevant du secret médical ou des relations avocat-client, la responsabilité de la divulgation étant alors éventuellement à la charge de celui ou celle qui n’a pas su garder son secret… La protection de ce lanceur d’alerte est définie dans les articles suivants de la loi.

Quelle procédure ?

La procédure à suivre également précisée dans la loi (Article 9). Il n’est pas question de porter d’emblée l’affaire sur la place publique : « Le signalement d’une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par celui-ci ». Si « la personne destinataire de l’alerte » ne donne pas suite « dans un délai raisonnable », le salarié peut s’adresser « à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels ». « En dernier ressort », si aucune de ces autorités ne traite la demande, « le signalement peut être rendu public ». « En cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles », le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés ci-dessus et « peut être rendu public ». « Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d’au moins cinquante salariés […] ». Et pour finir « Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d’être orientée vers l’organisme approprié de recueil de l’alerte. »

Quelle protection ?

Divers textes assuraient déjà une protection aux salariés témoignant de mauvais traitements ou de privations. Par exemple, le Code de l’action sociale et des familles (Casf, article L313-24) précise que « Dans les établissements et services [sociaux et médico-sociaux], le fait qu’un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire.

En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande […] ».

 

Ce texte est moins favorable au salarié que la loi Sapin II. À condition que le lanceur d’alerte (ie. celui qui est reconnu comme tel par la loi) respecte les procédures de signalement définies par ladite loi, celle-ci dispose en effet que :

  • « qui porte atteinte à un secret protégé par la loi » n’« est pas pénalement responsable […] dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause […]» (Article 7)
  • « Les procédures mises en œuvre pour recueillir les signalements […] garantissent une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement.

Les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués, sauf à l’autorité judiciaire, qu’avec le consentement de celui-ci […] » (Article 9)

  • « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] pour avoir signalé une alerte […]» (Article 10)
  • « En cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte […], le salarié peut saisir le conseil des prud’hommes […] » (Article 12)

 

Quel texte s’applique alors ? Que ce soit pour le signalement ou la protection du salarié, Loi Sapin II et Casf (puisque c’est notre exemple) divergent… Sachant que ne relèvent du statut de lanceur d’alerte que les personnes physiques, c’est-à-dire que le salarié ne peut demander à son institution ni même à son organisation représentative ou syndicale d’agir à sa place. Ce qui le laisse bien seul face à son acte… Il lui reste bien entendu possible de faire appel à un tiers, syndicat, organisation représentative ou autre, pour demander conseil et réfléchir à la conduite à tenir. Devons-nous préciser que nous recommandons vivement ce recours avant toute action ?

À noter : les directeurs des établissements sociaux et médico-sociaux sont également soumis, depuis janvier 2017, à l’obligation de signaler tout événement indésirable grave.

BIENTÔT UN LANCEUR D’ALERTE EUROPÉEN ?

On peut espérer, pour l’avenir, une législation moins ambigüe, d’une lecture accessible à tous. La Commission européenne s’est penchée sur la question, mais à notre connaissance, aucun texte applicable n’a encore abouti (cf. Communication de la commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen du 23.4.2018 : « Renforcer la protection des lanceurs d’alerte au niveau de l’UE », et Communiqué de presse « Protection et soutien aux lanceurs d’alerte dans toute l’UE »).

Une solution serait-elle de ce côté ? Y aura-t-il bientôt un statut européen des lanceurs d’alerte qui protège les salariés… pour que ceux qui sont pris en charge dans les services, structures et institutions soient, eux surtout, protégés ?

 

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